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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 14.djvu/605

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FOUILLÉE. — expédients en faveur du libre arbitre

rement au principe de la mécanique moderne, que toute cause modificatrice d’un mouvement n’est pas nécessairement un mouvement antérieur, ce qui rendrait impossible l’action directrice et libre de la volonté. La cause modificatrice du mouvement, selon lui, peut être une force qui agisse sans l’aide d’un mouvement antécédent et comme du sein de l’immobilité, de manière à n’augmenter et à ne diminuer en rien, par cette action, la somme du mouvement dans l’univers. Malheureusement, les raisons sur lesquelles M. Naville s’appuie pour démontrer cette possibilité sont empruntées, comme nous allons le voir, à de simples fictions mathématiques. Il assimile la volonté à une force qui agit sur le mouvement par sa présence seule, non par le mouvement. Même dans la nature, dit-il, l’explication des phénomènes du mouvement suppose la double base du mouvement et des obstacles qui le modifient ; et « les obstacles sont la résistance opposée par des corps, à l’état de repos relatif, aux mouvements des autres corps. Il résulte de là qu’en physique ce n’est pas seulement le mouvement qui est force, mais aussi la présence des corps. Or la présence des corps peut être conçue comme une force qui change la direction du mouvement sans en changer la quantité. Supposons en effet un système de corps en mouvement, et plaçons-y par la pensée un corps considéré comme primitivement immobile ; la direction des mouvements du système sera changée sans altération dans la quantité. Il va sans dire qu’il s’agit ici d’une conception purement théorique, puisqu’un corps ne peut pas être introduit sans que son introduction soit un mouvement ; mais, en supposant l’apparition spontanée d’un corps dans un système donnée, ou sa création proprement dite, ce corps changerait la direction des mouvements antécédents et non leur quantité[1]. » Le corps immobile imaginé par M. Naville est évidemment une pure fiction géométrique ; dans la réalité, tout corps est un système de mouvements, soit visibles, soit invisibles. Ce qui fait que la présence d’un corps modifie le mouvement des autres corps, c’est qu’il est lui-même un ensemble de mouvements, Il ne résiste au mouvement que par son mouvement propre et non par son immobilité, qui est toute « relative » et révèle un mouvement en sens contraire. Nous ne savons si un corps vraiment et absolument immobile ne serait pas indifférent à tout mouvement, et n’opposerait pas une résistance nulle au mobile qui l’entrainerait. Comment donc arguer d’une fiction mathématique, d’une métaphore mathématique, pour démontrer la possibilité d’une action psychologique qui serait celle d’un pur esprit modifiant le mouvement par sa

  1. Ibid., p. 280.