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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 14.djvu/611

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FOUILLÉE. — expédients en faveur du libre arbitre

comme effets agréables ou désagréables, utiles ou nuisibles, semblables aux boules enflammées qui sortent inopinément d’une pièce d’artifice, et qui tantôt sont inoffensives, tantôt peuvent incendier ? C’est là un genre de liberté encore plus impossible à qualifier moralement que la liberté d’indifférence. Le clinamen d’Épicure n’est pas plus moral que la liberté d’équilibre de Reid ou de Clarke.

IV. Après les expédients mécaniques tirés d’un changement de direction qu’on prétend compatible avec la permanence de l’énergie, il ne reste plus qu’un artifice à employer : c’est de faire porter le pouvoir du libre arbitre sur le temps et non plus directement sur les déterminations de l’espace. Déjà M. Naville avait eu recours à ce moyen. La transformation de la force de tension en force de translation, la détente et pour ainsi dire le coup de pistolet intérieur tiré par le libre arbitre, peut avoir lieu, selon M. Naville, « à des moments divers. » La puissance de l’action extérieure, comme la poudre de l’arme à feu, peut être dépensée ou tenue en réserve sans changement dans sa quantité. « En raison de l’indifférence dynamique du temps, un mouvement moléculaire peut être transformé en un mouvement externe appréciable, à un moment ou à l’autre, sans que sa quantité soit changée. Une bougie renferme une certaine quantité de lumière possible : je l’éteins ; sa combustion s’arrête et sa puissance d’éclairer demeure la même ; le fait qu’elle brûle à un moment ou à l’autre est indifférent sous le rapport de la quantité. De même, en admettant que tous les mouvements externes de l’organisme humain soient des transformations d’un mouvement moléculaire interne, l’idée que la volonté peut actualiser à un moment ou à l’autre le pouvoir de l’organisme n’est contredite en rien par la théorie de la constance de la force[1]. » M. Tannery est également porté à nous attribuer le pouvoir de disposer du temps ; mais, plus fidèle aux mathématiques que M. Naville, il reconnaît que ce pouvoir est incompatible avec la constance de l’énergie et avec les théorèmes fondamentaux de la mécanique, qui veulent que les forces d’un système varient avec la distance seule et non avec le temps[2]. L’hypothèse de M. Naville a été récemment reproduite par M. Delbœuf, qui l’a présentée comme nouvelle. M. Delbœuf n’a pas craint d’intituler son essai très intéressant : La liberté démontrée par la mécanique. Nous

  1. Revue phil., 1879, I, 284.
  2. On sait que le principe de la conservation de l’énergie se démontre par le calcul et en dehors de l’expérience, pour tous les cas di mouvement de points matériels libres, sous l’influence de leurs forces attractives et répulsives, dont les intensités ne dépendent que de leurs distances. (Voir Helmholtz.)