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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 14.djvu/677

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ANALYSES. — M. LAZARUS. Das Leben der Seele.

L’auteur en revient au sentiment moral, comme fondement des mœurs. Ce sentiment n’a par lui-même aucun contenu déterminé ; jamais l’homme n’a une représentation dans l’âme sous forme de sentiment ; celui-ci n’est qu’un état concomitant des sensations, des représentations ou des idées.

S’ils manquent, par leur nature, de tout contenu, il leur revient pourtant d’un autre côté une complète détermination ; ainsi, par exemple, chaque état sensible est déterminé comme sentiment de plaisir ou de déplaisir ; mais il n’en est pas de même des sentiments moraux. Lazarus croit à une multiplicité primitive de ces derniers sentiments. La forme fondamentale du sentiment moral est celle de l’approbation ou du blâme. « Nous affirmons donc que naturellement et primitivement, d’après la nature de son organisation psychique, revient à l’homme l’aptitude et la nécessité de percevoir toute action humaine, propre ou étrangère, comme accompagnée d’un sentiment déterminé d’aversion ou d’assentiment, » Or ces sentiments deviennent des stimulants d’actions. Les différentes espèces d’intermédiaires, depuis le sentiment jusqu’à l’action, sont un objet d’investigation qui n’est pas encore achevé ; peut-être pour toute action trouve-t-on au fond de l’âme des sentiments. Dans la vie ordinaire, on dit que les choses qui nous saisissent, nous poussent à agir ; or ces choses sont celles dont les représentations sont accompagnées de sentiments forts, Les états primitifs ou immédiats de l’âme se réfléchissent donc dans certaines activités et y prennent une expression objective déterminée. Ainsi l’homme primitif s’aperçoit qu’il est nu ; de là un sentiment de mauvaise humeur (qu’aujourd’hui nous appelons pudeur) ; il ne sait rien de ce sentiment, mais il se reflète dans l’action de se couvrir. Le sentiment en effet est ce qui arrive le plus tard à la conscience claire objective ; le génie des grands poètes seuls nous permet de jeter un regard sur ce monde, La conscience morale n’est d’abord qu’une conscience pratique ; comme pour la langue et la pensée, on n’en sait ni la raison ni les lois. Le sentiment moral est le dernier fondement inconscient de l’action ; mais de l’action sort la conscience. Ainsi ce qui est moral est créé par la mos (Sitte). Le sentiment moral se développe seulement sur des faits existants, comme blâme ou approbation.

Or comment le résultat d’un sentiment primitif et l’action qui en sort deviennent-ils coutume ?

D’abord, l’homme vit dans la société d’êtres pareils à lui ; il y a peu d’individualité dans les temps primitifs ; tous sentent et pensent de même ; ce qui s’est fait une fois se répète.

Puis il y a la loi psychique simple, primitive du souvenir ; même les occasions analogues, pas seulement les mêmes, se réfléchissent dans l’action ; il y a en nous un amour primitif pour la répétition de ce qui est connu.

Il est une troisième raison et qui à beaucoup de valeur. L’homme primitif manque encore beaucoup de formes pour l’expression de ses