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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 14.djvu/70

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que la base anatomique de tous nos états mentaux comprend à la fois des éléments moteurs et des éléments sensitifs. Je n’insisterai pas sur une question qui a été traitée ailleurs en détail[1] et qui entrainerait une digression. Rappelons simplement que nos perceptions, en particulier les importantes, celles de la vue et du toucher, impliquent à titre d’éléments intégrants des mouvements de l’œil ou des membres ; et que si, lorsque nous voyons réellement un objet, le mouvement est un élément essentiel, il doit jouer le même rôle, quand nous voyons l’objet idéalement. Les images et les idées même abstraites, supposent un substratum anatomique dans lequel les mouvements sont représentés en une mesure quelconque.

Il est vrai que, en serrant la question de plus près, on pourrait dire qu’il faut distinguer deux espèces d’éléments moteurs ceux qui servent à constituer un état de conscience, et ceux qui servent à le dépenser ; les uns intrinsèques, les autres extrinsèques. L’idée d’une boule, par exemple, est la résultante d’impressions de surfaces et d’ajustements musculaires particuliers ; mais ces derniers sont le résultat de la sensibilité musculaire et, à ce titre, sont des sensations de mouvement plutôt que des mouvements proprement dits : ce sont des éléments constitutifs de notre idée plutôt qu’une manière de la traduire au dehors.

Toutefois, cette relation étroite, établie par la physiologie entre l’idée et le mouvement, nous laisse entrevoir comment l’une produit l’autre. En réalité, une idée ne produit pas un mouvement : ce serait une chose merveilleuse que ce changement total et soudain de fonction. Une idée, telle que les spiritualistes la définissent, produisant subitement un jeu de muscles, ne serait guère moins qu’un miracle. Ce n’est pas l’état de conscience, comme tel, mais bien l’état physiologique correspondant, qui se transforme en un acte. Encore une fois, la relation n’est pas entre un événement psychique et un mouvement, mais entre deux états de même nature, entre deux états physiologiques, entre deux groupes d’éléments nerveux, l’un sensitif, l’autre moteur. Si l’on s’obstine à faire de la conscience une entité, tout reste obscur ; si on la considère comme le simple accompagnement d’un processus nerveux, qui seul est l’événement essentiel, tout devient clair, et les difficultés factices disparaissent.

Ceci admis, nous pouvons classer grossièrement les idées en trois groupes, suivant que leur tendance à se transformer en acte est forte, modérée, ou faible et même, en un certain sens, nulle.

1o Le premier groupe comprend les états intellectuels, extrême-

  1. Revue philosophique, octobre 1879, p. 371 et suiv.