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ANALYSES. — LIARD. Descartes.

depuis le feu et la lumière jusqu’à l’organisme compliqué des animaux et de l’homme.

On le voit, nous avons pu passer de la méthode cartésienne à la physique, sans faire appel à aucun principe métaphysique, sans recourir à aucune intervention surnaturelle. Posez la méthode telle que Descartes la conçue, fatalement vous êtes conduit à une physique mécanique. Cependant, au témoignage de Descartes lui-même, ce n’est pas ainsi que les choses se sont passées dans son esprit. « C’est par la connaissance de Dieu, écrit-il au P. Mersenne, que j’ai tâché de commencer mes études : et je vous dirai que je n’eusse j’amais su trouver les fondements de la physique si je ne les eusse cherchés par cette voie. » Et dans le Discours de la méthode : « Sans appuyer mes raisons sur aucun autre principe que la volonté de Dieu, je tâchai de démontrer toutes les lois de la nature dont on eût pu avoir quelque doute. »

Faut-il s’en rapporter à la logique, qui fait dériver le système de la méthode sans passer par la métaphysique, ou aux paroles de Descartes qui relient directement les principes de la physique à la croyance en Dieu ? Voilà le nœud du problème. Voici pourquoi M. Liard se prononce en faveur de la première explication.

Descartes, comme nous l’apprend une de ses lettres, a commencé seulement à s’occuper de métaphysique, ou des « difficultés qui ont coutume d’être disputées entre les doctes », de mars à décembre 1629. Or, dès le 8 octobre 1629, il a pris parti sur les fondements de la physique (lettre au P. Mersenne.) On pourrait croire que la métaphysique a été formée dès le mois de mars 1629 ; mais on voit par d’autres témoignages que dès longtemps il avait étudié la physique. Dans le Discours de la méthode, il parle des difficultés que la méthode l’avait aidé à résoudre et qui semblent bien être des difficultés physiques. Dans une Conversation avec le cardinal de Bérulle, il annonce déjà les applications de ses découvertes, et dès 1627 et 1628 il fait ses importantes découvertes relatives à la lumière.

En outre, Dieu est pour Descartes la liberté absolue, Comment déduire de l’idée de Dieu que le fond des choses matérielles est l’étendue, que tous les phénomènes de la nature se résolvent en mouvements ? L’existence même du monde ne saurait être un corollaire de la liberté divine, Quant aux règles générales du mouvement ; si Descartes croit les déduire de l’immutabilité divine, il y a des passages des Principes où elles sont considérées comme des notions claires et distinctes, c’est-à-dire admises d’après les principes généraux de la méthode, et non sur la foi et sous la garantie de l’immutabilité divine. De ces textes et de quelques autres, il résulte, suivant M. Liard, que la physique de Descartes aurait été ce qu’elle a été, alors même qu’il n’aurait pas spéculé sur le principe du monde : et Descartes l’a bien vu. Il ne l’a pas dit expressément, Est-ce par prudence ? Il a pris toute sa vie de telles précautions, il s’est entouré de tant de mystère qu’on peut être tenté de le croire. Cependant, nul doute sérieux ne peut être élevé sur