Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 14.djvu/9

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
5
C. VIGUIER. — le sens de l’orientation

ment  : « Que cette explication s’applique à tous les faits que l’on rapporte, ne fût-ce que des chiens, c’est plus que je ne voudrais affirmer ; et il n’est pas sûr qu’elle puisse servir aussi pour d’autres animaux, comme les chats et les chevaux, dont on raconte des histoires non moins étonnantes. »

« Un chien[1] sur la piste d’un lièvre suit toujours la même odeur ; l’association n’est ici qu’entre le lièvre et l’odeur du lièvre. Les associations de l’odorat ne sont-elles point toutes de cette nature ; et y a-t-il des preuves que, chez l’homme ou les animaux, une odeur se lie jamais à une autre, de manière à rendre possible une mémoire des odeurs, distincte de celle des objets eux-mêmes ? Mais, même en admettant qu’un chien puisse, en passant une seule fois, enfermé dans un panier, associer en une chaine continue plusieurs milliers d’odeurs, si ce n’est qu’à l’aide de cette mémoire qu’il doit retourner à son point de départ, l’animal doit se hâter, avant que les objets mobiles se déplacent sur sa route, avant surtout que le vent change de direction, ce qui mettrait ses points de repère dans une confusion inextricable. » En supposant même, avec le professeur Robertson, que l’animal sache distinguer parmi les diverses odeurs qui lui arrivent, celles des objets fixes et celles des objets mobiles qu’il ne saurait s’attendre à retrouver au même endroit ; qu’en un mot l’odeur seule suffise à lui faire percevoir complètement un objet, proposition déjà bien difficile à admettre, l’objection tirée de la direction du vent n’en reste pas moins sérieuse. La suivante l’est tout autant : « Si nous essayons de concevoir en termes de vision (puisqu’il nous est impossible de le faire à l’aide des sensations que nous fournit notre sens de l’odorat), si nous essayons, dis-je, de concevoir une mémoire d’odeurs, telle que celle que le chien est supposé acquérir, il faut nous représenter les sensations que nous éprouverions en traversant une série de brouillards différemment colorés, qui, tout en nous empêchant de voir les objets, se fondraient les uns dans les autres. En pareil cas, bien que nous puissions nous souvenir que le rouge est venu après le jaune, comment, une fois entré dans le rouge, saurons-nous de quel côté il faut tourner pour arriver dans le jaune ? Ces difficultés paraissent n’avoir pas été considérées d’assez près par M. Wallace et le professeur Robertson. » À ceci, M. Robertson ne put répondre (dans sa lettre du 27 mars) que par des arguments extra-scientifiques. « Si l’odorat ne compensait pas chez le chien ce qui manque au toucher, ces animaux

  1. Ce passage est extrait d’un article anonyme intitulé : Perception and Instinct in the Louer Animals (The Nature, 20 mars 1873).