Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/15

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
11
LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

ment que cette vue est juste et féconde, et qu’en en déduisant tout ce qu’elle contient on trouverait peut-être la raison des influences contraires exercées par le mode mineur et par le mode majeur sur notre sensibilité. On se rappelle que, pour M. Ch. Beauquier, le son est une des plus puissantes expressions de la vie. « Dans les, sons graves, — dit-il, — la vie vibratoire est moins accentuée ; c’est l’état de la matière se rapprochant le plus de ce que nous appelons l’inertie… Tout ce qui est rapide nous plaît ; nous l’appelons vivant, et nous considérons la plus grande activité comme la plus grande perfection des êtres. Un animal qui nous semblerait complètement immobile, comme un cadavre, et que nous constaterions pourtant s’être déplacé par un mouvement qui nous échapperait à cause de sa lenteur, nous causerait une terreur invincible, parce qu’il bouleverserait toutes nos idées sur la vie, à laquelle nous associons toujours un certain degré d’activité[1]. » — Je ne fais que reprendre et développer cette pensée quand j’écris ce qui suit.

Tout ce qui est rapide nous paraît plus vivant que ce qui est lent. L’extrême rapidité est, à nos yeux, le signe d’une grande activité et d’une vie intense ; l’extrême lenteur, à peine distincte de l’immobilité, nous est l’expression d’une activité presque éteinte et d’une vie qui va se rapprochant de la mort. Mais l’être dont la marche est rapide, si sa nature est d’avancer pas à pas, ira à grands pas, ou du moins il y aura dans son allure plus de grands pas que de petits ; en outre, il partira hardiment, en faisant de grands pas égaux ; et, si par hasard un de ses pas devient plus petit que les autres, Ce ne sera pas tout de suite. Au contraire, l’être dont la marche est lente, si sa nature est d’avancer pas à pas, ira à petits pas, ou du moins il y aura dans son allure plus de petits pas que de grands ; en outre, il partira timidement, et un petit pas ne tardera guère à succéder au premier, si celui-ci est grand.

Maintenant, l’être qui marche avec rapidité, avec hardiesse, qui fait plus de grands pas que de petits, qui fait plus de grands pas qu’un autre et moins de petits, qui fait son pas petit plus tard qu’un autre être, nous pensons naturellement qu’il est plus confiant, plus tranquille, plus sûr de lui-même et de sa route, puisqu’il y va hardiment ; nous croyons même qu’il est plus gai, puisqu’il y va gaiement, et rien qu’à le regarder, nous lui devenons semblables, c’est-à-dire confiants, tranquilles, décidés et même gais comme lui.

Inversement, l’être qui marche avec lenteur, avec timidité, qui fait plus de petits pas qu’un autre et moins de grands, qui fait son

  1. Philosophie de lu musique, page 71.