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SOURIAU. — les sensations et les perceptions

corps ; l’autre subjective, par laquelle je sens que ce corps est le mien.

Si nous rapportons ces deux sensations à un même lieu, c’est parce qu’elles se présentent constamment ensemble et forment un groupe indissoluble. Cette opération nous est d’ailleurs très familière et se retrouve dans nos perceptions les plus simples. — Quand par exemple je vois une sonnette s’agiter et qu’aussitôt j’entends un tintement, je me dis que c’est la sonnette qui tinte. Mes sensations auditives sont pourtant absolument distinctes de mes sensations visuelles ; elles en diffèrent par leur qualité ; elles en diffèrent par leur localisation, qui est beaucoup moins nette. Mais, étant habitué à toujours recevoir ensemble ces deux espèces de sensations, je les rapporte à un même objet, je les réunis en un seul groupe ; et, comme les sensations visuelles sont de beaucoup les mieux localisées des deux, ce sont elles qui déterminent la localisation du groupe entier. — Il en est absolument de même de ce groupe de perceptions et de sensations, qui compose la notion que nous nous faisons de notre propre corps. Comme elles s’accompagnent toujours, nous les réunissons en une même image ; nous nous disons que c’est le même corps qui est perçu du dehors et senti du dedans ; et, comme les perceptions sont beaucoup mieux localisées, ce sont elles qui déterminent la localisation des sensations. — Ainsi les sensations internes sont localisées non du dedans, mais du dehors ; nous déterminons leur position en la rapportant non au centre du corps, mais au contraire à sa périphérie. Ce qui achève de le démontrer, c’est que, lorsque nous éprouvons une souffrance vague dans une partie du corps, nous ne pouvons en préciser le siège qu’en y portant la main ; c’est que nous localisons fort mal les douleurs physiques qui n’augmentent pas à la pression ; c’est que nous localisons beaucoup mieux nos sensations dans la région superficielle du corps que dans les régions profondes. Tout concourt donc à nous prouver que si les sensations subjectives, qui en elles-mêmes sont trop simples pour être localisables, se trouvent en fait localisées, c’est par leur association avec les sensations objectives.

Sachant comment sont localisées les sensations subjectives, nous pouvons maintenant expliquer la localisation même du moi. — En fait, chacun de nous croit être dans son corps ; et cela s’explique très facilement, puisque c’est dans le corps que sont localisées toutes nos sensations subjectives, que seules nous nous attribuons à nous-mêmes, et dont l’ensemble constitue ce que nous appelons notre état de conscience. Quand toutes nos fonctions physiques s’accomplissent normalement, quand notre activité ne se concentre spécia-