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BÉNARD. — problème de la division des arts

Mais, d’abord, on doit se faire une idée exacte de la nature du problème, et pour cela en examiner les faces principales.

Une condition préalable est de délimiter le domaine de l’art proprement dit, de le séparer des autres formes de la pensée humaine, en particulier de distinguer les arts des sciences. Et cela n’est pas déjà chose facile, comme le prouve la confusion qui règne aujourd’hui encore dans l’esprit de bien des savants des plus éminents, de la plupart des littérateurs et des artistes, des philosophes eux-mêmes qui traitent de ces matières. Vient ensuite la nécessité de marquer, d’une manière non moins précise, la différence des beaux-arts et des arts utiles, ce qui n’est pas non plus sans quelque difficulté ; car il est des arts, comme on sait, qui ont à la fois pour objet l’utile et le beau ; ainsi en est-il de l’architecture, qui, en même temps qu’elle participe de la science la plus exacte, obéit aux lois de l’imagination et du goût. Une autre difficulté plus sérieuse et dont la solution est des plus délicates est de savoir si l’on doit faire entrer dans la catégorie des beaux-arts je ne dis pas les arts de pur agrément, tels que le costume, la parure, l’habillement, l’ameublement, qui, sont des arts accessoires, mais l’art plus sérieux de la vie. La vie humaine, en effet, peut être envisagée par le côté esthétique comme par le côté moral, religieux, scientifique, social, industriel ou économique, etc. On sait combien le beau est difficile à séparer du bien, par combien de points la morale et l’art se touchent et se confondent.

L’art qui apprend à régler les actions humaines d’après les lois de la convenance et du décorum, de la décence, de la grâce aussi bien qu’à obéir aux préceptes plus sévères de l’obligation et du devoir, n’a-t-il pas lui-même ici sa place ? L’art de la vie n’est-ce pas le premier des arts, comme des esthéticiens modernes (Krause, Schleiermacher, Herbart, Köstlin etc.) l’ont pensé, d’accord avec tous les grands moralistes anciens (Platon, Aristote, Sénèque, Cicéron, etc.) et donnant une formule plus précise à la notion plus ou moins implicitement contenue dans les écrits de ces philosophes ?

Ces difficulté : et d’autres, que nous omettons, résolues, on peut procéder à la division et à la classification des arts. Or, quand on vient à envisager le sujet non superficiellement, mais d’une manière scientifique et philosophique, on s’aperçoit combien le problème est complexe et difficile, à l’envisager même dans sa plus haute généralité.

Il s’agit d’abord de fixer le nombre des arts essentiels qui doivent constituer les genres et d’en dresser la liste. Pour cela, on doit n’en omettre aucun, mais aussi n’y faire entrer que ce qui mérite le nom d’art véritable, libre et indépendant.