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BÉNARD. — problème de la division des arts

toujours il les transforme et les interprète, etc. Tout cela est obscur, vague indéterminé dans Aristote, ne ressemble en rien à une théorie.

Nous ne nous appesantirons pas davantage sur ce sujet ; mais, pour voir dans la Poétique d’Aristote ou dans ses autres écrits ce qu’on y voit aujourd’hui (Schasler, Frohschammer, etc.), il faut, selon nous : 1o s’être soi-même fortement initié aux progrès et aux découvertes les plus récentes de la science du beau et de l’art ; 2o se servir, pour voir, des lunettes taillées par les modernes ; 3o faire parler aux anciens et à Aristote une langue qui n’a jamais été la leur et qui n’exprime nullement leurs idées.

En résumé et pour revenir au problème de la division des arts, on ne peut dire ni qu’Aristote l’ait résolu ni qu’il ait même indiqué le principe et tracé la méthode pour le résoudre. Aristote n’a pas même l’air de soupçonner l’importance du sujet qu’il traite d’une façon incidente et en passant. Il en parle très brièvement, en quelques mots à propos de la poésie. Il ne songe nullement à distinguer et à séparer les arts, à en dresser la liste, à établir leurs rapports, à marquer leur place, à montrer leur gradation. Le principe lui-même dont il se sert, il ne l’examine ni ne le discute. Ce principe, je l’ai dit, c’est l’imitation. Après l’avoir affirmé il se borne à indiquer comme différences entre les arts des différences réelles, mais qu’il n’explique pas. Il n’en tire aucun parti pour essayer d’établir une véritable division et classification des arts. Tout cela est en dehors de son esthétique et de ce qu’on veut bien appeler sa théorie de l’art.

Ce n’est pas moins un pas et un grand pas de fait dans la science à son début ; nous devons le reconnaître et le constater.

IV

Après Platon et Aristote, l’esthétique ancienne n’a, sur notre sujet, rien de sérieux et d’intéressant à nous offrir. Si les philosophes en parlent, c’est pour se conformer à l’opinion vulgaire. Tous les moralistes traitent les arts de frivoles. Les stoïciens déclament contre le luxe qui les entretient et les prend à son service. Les autres, plus indulgents, n’y voient que des moyens de plaisir et d’amusement. Partout la distinction des arts libéraux et des arts serviles est pourtant maintenue ; celle des arts et des sciences l’est beaucoup moins, ou rien de précis ne justifie les distinctions.

Cicéron (De nat. deor., II. 59) établit une comparaison entre les arts utiles et les arts d’agrément : Ex quibus collatis et comparatis artes efficimus partem ad usum vitæ, partem ad oblectationem necessarias.