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BÉNARD. — problème de la division des arts

cette série de chapitres où figurent tour à tour « la lumière et l’obscurité esthétiques, l’ombre esthétique, les couleurs esthétiques, le fucus esthétique, la persuasion et l’évidence esthétiques, etc. : lux aesthetica, obscuritas æsthetica, umbra æsthetica, colores æsthetici, fucus aestheticus, etc. (Æsthetica). Mais on ne pouvait guère mieux attendre d’une science naissante, qui se définit elle-même une sorte de logique inférieure et une science de la connaissance sensitive (Theoria liberalium artium, gnoseologia inferior, ars pulchre cogitandi, ars analogi rationis, est scientia cognitionis sensitivæ).

On ne trouve rien dans les successeurs ou disciples de Baumgarten (Meier, Eschenburg, Eberhard, etc.) qui ne soit conçu selon cet esprit. Plusieurs s’occupent des beaux-arts, du principe des beaux-arts et des belles sciences (schönen Wissenschaften). Chez eux s’accumulent les recherches particulières, mais aucune idée neuve et originale ne se dégage pas de ces descriptions ou de ces essais. On voit cependant l’intérêt s’accroître peu à peu sur ces questions et la vulgarisation se produire sur une assez vaste échelle.

Deux hommes, principalement, viennent arracher les esprits à la routine et donner à cette science l’impulsion nécessaire pour que le problème de la division des arts et de leurs limites respectives apparaisse dans sa véritable importance. L’un est l’auteur du Laocoon, l’autre l’historien de l’art dans l’antiquité.

Chacun connaît les titres qui ont valu à Winckelmann d’être regardé comme le vrai fondateur de l’histoire de l’art. Il est plus difficile de faire voir ce que lui doit notre problème. Tout absorbé par la pensée de ressusciter le vrai idéal, que représentent les monuments de l’art antique, il ne songe guère à délimiter les frontières entre les arts et à les classer. Mais la vérité est que, par une distinction réelle et profonde, que lui-même exagère, il invite à entreprendre cette étude des conditions différentes ou sont placés les arts et à déterminer leurs limites.

La distinction est celle-ci. En ce qui regarde la notion métaphysique du beau et de l’idéal, Winckelmann fidèle disciple de Platon, soutient qu’elle est la même dans tous les esprits. Tous la conçoivent de même. Il n’est besoin que d’une culture très ordinaire pour les en rendre capables. Mais s’agit-il soit de créer le beau, soit d’apprécier une œuvre quelconque appartenant à des arts différents (sculpture, peinture, musique, etc.), soit antique, soit moderne, alors apparaît la diversité des esprits des goûts et des aptitudes, et cela dans les individus, les peuples, les époques de l’histoire, selon les races, les degrés de culture, les causes locales, le tempérament, etc. Cette diversité alors est si grande entre les hommes qu’il y a opposition,