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de la finalité. Nous voyons partout, dans le traité Des facultés naturelles[1], dans le traité De l’usage des parties[2], que Erasistrate affirmait que la nature a toujours un but et ne fait rien en vain ; qu’il célébrait l’art, l’industrie de la nature allant toujours par les meilleurs moyens aux meilleures fins. Galien, il est vrai, l’accuse d’avoir souvent manqué de fidélité à ses principes dans l’explication particulière de tel ou tel organe du corps humain ; mais, en supposant le grief fondé, il reste toujours que Erasistrate avait tenté d’expliquer la nature humaine au moins du point de vue téléologique.

L’empirisme est aussi ancien que la médecine, dont il est nécessairement le premier début et naturellement la première forme : comme secte, il ne remonte pas au delà de Philinus de Cos, disciple d’Hérophile, dont il se sépare par une raison inconnue, pour marcher dans une voie différente[3]. Sérapion d’Alexandrie, que Celse regarde comme le chef des empiriques, paraît avoir été le plus remarquable d’entre eux. Il faut encore citer les deux Apollonius, père et fils, d’Antioche, Ménodote, Héraclide et Theutas[4]. On peut ajouter Glaucias, nommé avec honneur par Celse.

Or ces médecins-là sont encore philosophes en quelque mesure, quoique malgré eux, à leur corps défendant. En leur qualité d’empiriques, ils n’ont aucun goût pour les choses cachées, qui sont celles précisément auxquelles la philosophie s’intéresse ; ils ne se livrent donc sciemment à aucune recherche philosophique. Ils n’aiment pas l’anatomie, qui leur paraît inutile, sinon dangereuse ; ils ne sont donc conduits à s’enquérir ni du siège de l’âme, ni des instruments de ses facultés. Mais cette même qualité d’empiriques les condamne à discuter les questions de méthode, et les voilà bon gré mal gré logiciens, donc philosophes.

Dégoûtés de la méthode dogmatique, peut-être par l’abus qui s’en faisait autour d’eux, peut-être par l’influence du pyrrhonisme, comme le veulent nos modernes historiens de la médecine[5] ; résolus à se passer du raisonnement, qui scrute les causes, et à s’en tenir à l’expérience, qui constate les faits, les empiriques, pour satisfaire aux nécessités de leur art, comme pour répondre aux attaques de la

  1. L. II, ch.  3, 4, 6.
  2. L. IV, ch.  15 ; l. V, ch.  6 ; l. VII, ch.  8.
  3. Les empiriques avaient la prétention peu fondée, de procéder de l’Agrigentin Acron.
  4. Galien, Du médec., ch.  3 ; De l’empirisme, ch.  13. Héraclide est perpétuellement cité par Cœlius Aurelianus, De morb. acut., l. I, 17 ; II, 9, 24, 29, 38 ; III, 8, 17.
  5. Sprengel, t.  I, p. 470 ; Bouchut, Hist. de la méd., t.  I, pp. 426, 427.