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CHAUVET. — la médecine grecque

entière dans le corps entier[1]. Il confond proprement l’âme avec les sens, dont elle n’est que l’assemblage, y rapportant la mémoire et l’entendement même[2]. Par conséquent, rien d’inné. Pas d’idées innées, cela va sans dire ; ni celles de la conséquence et de la contradiction, ni celles de la division et de la composition, ni celles du juste et de l’injuste, du beau et du laid, etc. Toutes les idées sans exception ont leur berceau dans les sens. Pas de facultés innées, non point même celle de raisonner. Ni moralité ni liberté. Nous sommes guidés par des impressions sensibles, pareils à des troupeaux, sans les pouvoir discuter, donc sans y pouvoir résister : courage, sagesse, modération, tempérance, radotages que tout cela. Enfin, pas d’affections innées, ni l’amour de soi ni l’amour des enfants[3]. C’est la plus rase des tables rases.

On voit dans quelle large mesure Asclépiade pratique la philosophie, et comment, disciple, mais disciple indépendant d’Épicure, il place dans une physique, qui devait être complète, le solide fondement d’une nouvelle doctrine médicale.

Cette physique, dans sa partie physiologique, contenait en germe une méthode : il était réservé à Thémison de l’en dégager et de la mettre en pleine lumière.

Ce n’est pas que Asclépiade se fût arrêté aux prémisses du méthodisme. Il en avait tiré toutes les conséquences, en logique comme en thérapeutique ; et, pour nous borner à la logique, il avait esquissé d’une main ferme les principaux linéaments de cette méthode qui a fait le méthodisme.

Le corps étant formé uniquement de pores et de molécules, et celles-ci n’ayant d’autres propriétés que la figure et le mouvement, il en avait conclu qu’il n’y a pas de corruption possible dans un tel composé. La vie n’étant qu’un va-et-vient de molécules à travers les pores, il en avait conclu que la santé consiste dans la libre circulation des molécules, la maladie dans leur arrêt ou leur désordre. Cet arrêt ou ce désordre ne pouvant provenir que de deux causes, ou bien des molécules, c’est-à-dire de leur grandeur, ou de leur forme, ou de leur nombre, ou de leur rapidité[4] ; ou bien des voies dans lesquelles elles passent,

  1. « Regnum animæ in parte corporis constitutum negat » (Cœl. Aurel., ibid.).
  2. « Nihit aliud dicit animam esse quam sensuum omnium cœtum : intellectum autem occultarum vel latentium rerum, per solubilem fieri motum sensuum, qui ab accidentibus sensibilibus atque antecedenti perspectione perficitur, Memoriam vero allerno eorum exercitio fieri dicit » (Cœl. Aurel., ibid.).
  3. Galien, Des fac. natur., I, 12.
  4. « Fit autem eorum statio, aut magnitudinis, ant schematis, aut multitudinis, aut celerrimi motus causa » (Cœl. Aur., ibid.).