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II

Les propriétés des atomes ne sont pas immuables

La science depuis longtemps s’appuie sur ce principe : rien ne vient de rien ; rien ne retourne à rien. Si cet axiome, et son corollaire le principe de la conservation de la force, nous font comprendre l’univers dans sa composition, ils ne l’expliquent nullement dans son évolution. Quand on les entend comme on le fait d’ordinaire, l’univers, à quelque moment du temps qu’on le prenne, n’a rien perdu ni gagné. Il est aujourd’hui ce qu’il était hier, ce qu’il était il y a mille ans, il y a un million de siècles. Mais alors tous les phénomènes qu’il a manifestés auraient été faits avec rien ! Et si, dans la suite des temps, il lui arrive de revêtir un de ses états passés — ce qu’on doit admettre comme possible dans cette hypothèse — tout ce qui se sera fait dans l’intervalle aura été tiré de rien. De plus, après une demi-période de composition et d’organisation, les choses auront dû passer par une autre demi-période de désorganisation et de décomposition ; et les hommes, par exemple, se seront vu enlever tour à tour la science, la civilisation, la parole, l’intelligence, la figure, pour redevenir des brutes, puis s’émietter dans le chaos. Dans une pareille conception, qu’est-ce que le temps ? C’est une suite incohérente de tronçons de l’éternelle durée. Chaque tronçon se développe individuellement : il commence et finit dans l’intervalle de ces deux demi-périodes pendant lesquelles les atomes épuisent par deux fois et en sens opposés une série de combinaisons possibles.

Il n’en peut être ainsi. Tout ce qui se fait a une cause et doit se tirer de quelque chose qui est détruit par cela même. Ce quelque chose ne peut être que la faculté de se transformer propre à la matière ou à la force. Ce qui est fait ne peut plus se défaire, en ce sens qu’on ne peut faire qu’il n’ait pas été fait. Tout phénomène, si passager qu’on le suppose, laisse donc après lui de l’irrévocable. La force en se transformant perd une partie de sa transformabilité disponible. Tel est le principe, que j’ai émis le premier, de la fixation de la force[1].

Le principe de la conservation de la matière et de la force nous apprend dans quelles limites se font les changements universels ; le principe de la fixation de la force nous dit dans quel sens. Le pre-

  1. Voir mes articles sur Le sommeil et les rêves (Revue philosophique).