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DELBŒUF. — la matière brute et la matière vivante

ainsi qu’un étranger jette souvent la brouille dans le meilleur des ménages.

Les répulsions manifestées dans ce monde fictif seraient donc, on peut l’avancer, un résultat de la présence du carbone. Or, si les répulsions sont un résultat, pourquoi n’en dirait-on pas autant des affinités ? on n’a qu’à faire la supposition inverse. Bien mieux : les phénomènes s’expliquent d’une manière plus rationnelle en partant des répulsions que des attractions. Il suffit de se représenter chaque corps spécifique comme tendant à envahir l’espace et à chasser tout ce qui s’oppose à son expansion. Venant se heurter à chaque instant à des tendances semblables de la part des autres substances, il finit par accepter un modus vivendi, une espèce d’accord, en vertu duquel il s’associe avec les humeurs les moins incompatibles. L’eau se décomposerait en présence du potassium, parce que l’oxygène, mis dans l’alternative de cohabiter avec un ennemi, choisit celui qui lui est le moins désagréable.

Si cette manière de voir est plausible, les phénomènes d’attraction et de répulsion, les seuls qui frappent nos yeux et sur lesquels l’expérience a prise, ne caractériseraient pas les corps entre lesquels ils se manifestent, mais seraient une résultante générale de la communauté universelle.

Passons à un second ordre de considérations. On vient de voir d’où pourrait provenir l’affinité de l’oxygène pour l’hydrogène, affinité qui croîtra ou diminuera suivant que l’on retranche ou que l’on ajoute certains corps dans le milieu de leur cohabitation.

Il est une seconde condition, tout aussi nécessaire que la première, pour que cette affinité se manifeste. Il faut que l’un et l’autre corps aient été mis dans un certain état. À la température ordinaire, l’oxygène peut rester indéfiniment en contact avec l’hydrogène sans s’unir à lui. C’est ainsi que dans l’atmosphère il vit côte à côte avec l’azote. Cette indifférence persiste tant qu’il n’est pas porté à la chaleur rouge. Il est comme cette nature qui n’avait horreur du vide que jusqu’à trente-deux pieds. Qu’est-ce que cela signifie, sinon que la chaleur a donné ou soustrait à l’oxygène une certaine propriété ? Or si l’oxygène à moins de 500° et l’oxygène à 500° ont des propriétés différentes, font-ils un seul et même corps ?

Nous avons dit tantôt pour quelles raisons on répond oui à cette question. Mais qui ne voit que l’on est tout aussi en droit de répondre non ? Voici de l’oxygène et du mercure à la température ordinaire : ils ne s’attachent pas l’un à l’autre. Je chauffe le mercure, et il s’empare de l’oxygène ; je chauffe davantage le composé résultant, l’oxygène se dégage. Que conclure de là ? N’est-ce pas que,