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On doit donc considérer le carbone isolé, le phosphore rouge, etc., comme des états particuliers d’une certaine matière, états dans lesquels la matière est, pour ainsi dire, combinée avec elle-même et a perdu une partie de ses facultés.

Entre la chimie organique et la chimie inorganique, il y a une distinction de même ordre qu’entre la chimie organique et la chimie biologique. Le grand nombre des combinaisons organiques est dû à des états particuliers du carbone. Ces états sont encore plus nombreux dans la chimie biologique, tandis que, dans la chimie minérale, on a affaire avec un carbone plus stable, plus stérile et donnant lieu à des combinaisons moins variées[1].

V

L’univers n’est pas soumis à des lois fatales.
L’intelligence est le véritable démiurge

Nous pourrions nous arrêter là.

Jusqu’ici, nous nous sommes tenus résolument sur ce qu’on con-

  1. Bulletin de l’Académie de Belgique, avril 1883. À cette occasion, M. Spring a bien voulu citer mon nom et rappeler que je lui avais exposé les idées présentes, avant qu’il y eût été amené lui-même. Voici les termes mêmes de M. Spring :

    « Le carbone cristallisé où même le carbone libre amorphe sont sans activité chimique à la température ordinaire ; en d’autres termes, ils ne sont pas justiciables de la chimie sous cet état ; mais quand, par suite d’une élévation de la température, ils prennent un autre état, ils se transforment en un carbone nouveau, constituant vraiment un quatrième état allotropique et doué alors d’une prodigieuse capacité de combinaison. Cette légion de corps que l’étude des dérivés du carbone nous a fait connaître est un témoignage surprenant de la diversité infinie de combinaisons que le nouveau carbone peut former.

    « Si ces conclusions sont fondées, on peut faire un pas de plus encore et se demander si le carbone qui entre dans la composition, non plus des corps organiques, mais bien des corps organisés, ne serait pas un carbone d’un autre état allotropique encore. Celui-ci pourrait être caractérisé par l’apparition de propriétés ou de formes de combinaisons nouvelles qui trouveraient leur expression dans les phénomènes vitaux.

    « En d’autres termes, un dérivé du carbone, pour faire partie d’un corps organisé, devrait an préalable subir, dans ses atomes, une transformation semblable à celle qui permet au carbone amorphe d’entrer dans la composition des corps organiques. Dans cet ordre d’idées, le carbone de la chimie organique ne serait qu’une première forme amortie du carbone de la chimie biologique, comme le carbone élémentaire ne serait que le cadavre de la chimie organique.

    « Les considérations précédentes, bien que découlant de certains faits, sont cependant d’ordre spéculatif. Je dois à la vérité de reconnaître que mon ami M. Delbœuf, développant un jour devant moi sa théorie sur la fixation de la force, m’a énoncé la même idée à laquelle je suis revenu à la suite de mes expériences. »