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tation à la statistique. Autant la première s’attache à démêler la filiation des découvertes successives, autant la seconde excelle à mesurer l’expansion de chacune d’elles. Le domaine de l’archéologie est plus philosophique, celui de la statistique plus scientifique.

La méthode de ces deux sciences est précisément inverse, il est vrai ; mais cela tient à leurs conditions extérieures de travail. L’une étudie longtemps les exemplaires disséminés d’un même art avant de pouvoir se hasarder à conjecturer l’origine et la date du procédé magistral d’où il est éclos ; elle doit connaître toutes les langues indo-européennes avant de les rattacher à leur mère commune, l’aryaque, ou à leur sœur aînée, le sanscrit ; elle remonte péniblement des imitations à leur source. L’autre, qui presque toujours connaît les sources dont elle mesure les épanchements, va des causes aux effets, des découvertes à leurs succès plus ou moins grands suivant les années et les pays. Elle vous dira par des enregistrements successifs que, depuis le moment où l’invention des machines à vapeur a commencé à répandre et fortifier par degrés en France le besoin de la houille, la production de cette substance dans ce pays a suivi une progression parfaitement régulière et, de 1759 à 1869, est devenue de la sorte 62 fois et demie plus forte. Elle vous dira encore qu’à partir de la découverte du sucre de betterave, ou plutôt à partir du moment où l’utilité de cette découverte a cessé d’être contestée, la fabrication de cette denrée s’est élevée, non moins régulièrement, de 7 millions de kilogrammes en 1828 (jusque-là, elle était presque stationnaire par le motif indiqué) à 150 millions de kilogrammes trente ans après (Maurice Block). — Je choisis là les exemples les moins intéressants, et cependant n’assiste-t-on pas, par la vertu de ces chiffres arides, à la naissance, au progrès, à l’affermissement graduels d’un besoin nouveau, d’une mode nouvelle du public ? Rien de plus instructif en général que les tableaux chronologiques des statisticiens, où, année par année, ils nous révèlent la hausse ou la baisse croissante d’une consommation ou d’une production spéciale, d’une opinion politique particulière traduite en bulletins de vote, d’un besoin de sécurité déterminée exprimé en primes d’assurances contre l’incendie, où en. livrets de caisses d’épargne, etc., c’est-à-dire au fond, toujours, les destinées d’une croyance ou d’un désir importés et copiés. Chacun de ces tableaux, ou mieux chacune des courbes graphiques qui les représente, est une monographie historique en quelque sorte. Et leur ensemble est la meilleure histoire qu’on puisse narrer. Les tableaux synchroniques présentant des comparaisons de pays à pays, de province à province offrent d’ordinaire beaucoup moins d’intérêt. Mettez en regard, comme matière à réflexion philosophique, la carte