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qui rayonnent semblablement avec une rapidité et dans des limites variables. L’ordre dans lequel éclosent et se succèdent ces inventions et ces découvertes n’a rien que de capricieux et d’accidentel dans une large mesure ; mais, à la longue, par l’élimination inévitable de celles qui se contrarient (c’est-à-dire au fond qui se contredisent plus ou moins par quelques-unes de leurs propositions implicites), le groupe simultané qu’elles forment devient concert et cohésion. Considérée ainsi, comme une expansion d’ondes émanées de foyers distincts, et comme un arrangement logique de ces foyers et de leurs cortèges ondulatoires, une nation, une cité, le plus modeste épisode du soi-disant poème de l’histoire, devient un tout vivant et individuel, et un spectacle beau à contempler pour une rétine de philosophe.

IV

Si ce point de vue est vrai, si vraiment il est le plus propre à éclairer les faits sociaux par leur côté régulier, mesurable et nombrable, il s’ensuit que la statistique sociologique devrait s’y placer, non pas à peu près et à son insu, mais sciemment et tout à fait, ce qui lui épargnerait, comme à l’archéologie, bien des tâtonnements et des enregistrements stériles. Et nous allons énumérer les principales conséquences qui en résulteraient. — D’abord, en possession d’une pierre de touche pour reconnaître ce qui lui appartient et ce qui ne lui appartient pas, convaincu que l’immense champ de l’imitation humaine est à elle tout entier, mais rien que ce champ, elle laisserait par exemple aux naturalistes le soin de dresser la statistique, purement anthropologique par ses résultats, des exemptions pour le service militaire dans les divers départements français, ou d’établir les tables de mortalité (je ne dis pas de natalité, car ici l’exemple d’autrui intervient puissamment pour restreindre ou stimuler la fécondité de la race). Cela est de la biologie pure, aussi bien que l’emploi de la méthode graphique de M. Marey ou l’observation des maladies par le myographe, le sphygmographe, le pneumographe, sorte de statisticiens mécaniques des contractions, des pulsations, des mouvements respiratoires.

En second lieu, le statisticien tel que je le suppose ne perdrait jamais de vue que sa tâche propre est de mesurer des croyances spéciales, des désirs spéciaux, et d’employer les procédés les plus directs pour serrer le plus près possible ces quantités si difficiles à