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que par deux idées opposées, une organisation interne et une organisation externe qui l’entoure ; entre les deux une correspondance, qui fait la vie de l’individu. Pour un partisan de la « liberté » idéale, l’individu a un rayonnement propre : c’est son activité qui créerait le déterminisme de la nature.

Ces deux modes de parler ne me paraissent pas différer au fond.

Dans son langage, je vois le philosophe naturaliste porter dans le problème du moi tous ses efforts, vers une recherche des conditions de la vie aussi indépendante que possible du phénomène passager de la conscience de notre moi ; le philosophe idéaliste n’insiste au contraire que sur l’émotion intime de son moi.

Ce sont deux points de vue qui sont vrais tous les deux, entre lesquels on ne peut établir de comparaison et qui se retrouvent à chaque instant aux deux pôles de la spéculation humaine sous les noms de science et d’art.

Dire en quoi s’opposent et s’unissent la science et l’art, c’est dire en quoi s’accordent et s’opposent les philosophies, naturaliste et idéaliste. Pour rendre ma comparaison claire à tous les esprits, je choisirai l’art pratiqué par tout le monde, et la science dont les doctrines sont plutôt écrites dans nos instincts que dans nos idées parlées : c’est la vie humaine. Tout homme qui après avoir agi et avant de se reposer, à la fin du travail de sa journée et avant de s’endormir examine et compare les circonstances où il a agi, fait de la science morale sans le savoir, de la psychologie intime. Tout homme qui, après avoir agi, se souvient de l’action, en savoure dans sa mémoire l’émotion, celui-là fait aussi de l’art moral sans le savoir.

Ce que nous appelons plus particulièrement et dans un sens esthétique l’art, c’est un jeu qui a pour but de procurer l’illusion de l’action.

Nos idées morales nous viennent comme nos autres idées de l’expérience de la vie ; la façon dont notre esprit enregistre nos impressions morales constitue la philosophie morale de chacun de nous ; quant à nos vertus morales, y compris l’enthousiasme de notre moi, pour lui-même si cher à l’école autonomiste, elles dérivent de notre expérience personnelle et de celle de nos ancêtres.

Dans l’expérience morale que nous impose la vie selon l’utilitarisme, il ne faut pas voir seulement une comparaison consciente des rapports de moyens à fins où s’exercerait notre « raison ». Si l’on n’y voit que cela, on peut faire à l’utilitarisme les objections courantes et vulgaires qui lui ont été faites, il faut comprendre par le mot expérience l’adaptation croissante de notre organisation intérieure avec l’organisation externe. La question de savoir si cette adaptation doit s’ap-