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traite successivement de la « métaphysique de l’objet religieux » ou théologie et de la « métaphysique du sujet religieux. »

Dieu est considéré tour à tour comme l’élément qui dépasse la dépendance envers le monde, comme l’élément qui établit la dépendance absolue, comme l’élément qui fonde la liberté. Il est très intéressant de voir M. de Hartmann statuer l’inconscience et l’impersonnalité de Dieu comme postulats de la conscience religieuse.

« La conscience religieuse, dit-il, réclame que, dans le rapport religieux, l’unité réelle entre Dieu et l’homme soit accomplie en réalité, nommément que le rapport religieux en acte soit à la fois une fonction absolument divine et absolument humaine, dont on ait conscience comme de la coexistence de deux en un. Au lieu de prendre ce phénomène fondamental pour son point de départ et de se demander de quelle nature doivent être les suppositions métaphysiques, sous lesquelles ce fait psychologique apparaît à l’intelligence comme possible et dépourvu de contradiction, le théisme part de l’a priori dogmatique que Dieu et l’homme sont deux personnalités conscientes, d’essence différente. Cet à priori métaphysique déchirant irrémédiablement en deux une fonction identique du rapport religieux, à savoir en une fonction divine et en une fonction humaine, supprime précisément par là l’unité réelle de Dieu et de l’homme et met à leur place une simple action réciproque de l’un sur l’autre. Puis, pour offrir aux besoins religieux une compensation pour la possession de l’unité réelle avec Dieu qui leur a été enlevée, le théisme dépeint l’échange qui se produit entre Dieu et l’homme par analogie avec un rapport entre deux hommes, où règnent la piété, la reconnaissance, la fidélité, l’amour, etc., ainsi, de préférence, par analogie avec les rapports de maître et de serviteur, de roi et de sujet, de fiancé et de fiancée, d’époux et d’épouse, de père et de fils, etc. Il faut pour cela, on le conçoit, que Dieu possède Les propriétés du cœur et de l’esprit qui le rendent seules capables d’entrer dans de pareils rapports, ainsi la sévérité et la douceur, la colère et la bonté, la jalousie et la patience, la fidélité et la pitié, la magnanimité et l’amour, mais, par-dessus tout, une personnalité consciente, qui seule rend possible à l’homme de poser devant lui son moi. Mais toutes ces relations sociales, politiques et de famille ne sont qu’un expédient malheureux et désespéré, un surrogat anthropopathique qui doit tenir lieu de l’unité réelle avec Dieu, qui a été escamotée ; à la place de la possession légitime, on donne à l’homme le désir le plus ardent, car l’amour dans lequel culmine ce rapport : personnel n’est, en fin de compte, pas autre chose que la soif de la réunion. Cette substitution serait intolérable si l’on ne laissait, à son tour, au désir l’espoir d’une réalisation ; l’unité réelle avec Dieu, que le théisme détruit pour la vie présente, est présentée à la conscience religieuse comme une récompense à décerner dans la vie future, et c’est par là seulement qu’on réussit à l’étourdir assez pour lui faire accepter le vol qu’on lui fait ici-bas et la faire contenter provisoirement du surrogat d’un rapport