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L’ESTHÉTIQUE MUSICALE EN FRANCE

4e article[1]
ÉTENDUE ET LIMITES PSYCHOLOGIQUES DE L’EXPRESSION INSTRUMENTALE.

Quoique la science psychologique de l’expression par les diverses forces musicales soit encore peu avancée, il n’est pas impossible, croyons-nous, de dire ce qu’il y a dans la composition symphonique et ce qu’il est raisonnable ou absurde d’y apercevoir.

À ne considérer que les effets les plus saillants, les voix instrumentales, comme les voix humaines, rendent avec clarté trois sortes d’états de l’âme : la douleur, la joie, et, entre ces deux extrêmes, le simple mouvement de la vie, plus où moins rapide, plus ou moins lent, avec une sensibilité assoupie ou même purement virtuelle. L’expression de ces trois dispositions générales n’est jamais douteuse ; personne ne s’y méprend, pas même les auditeurs peu cultivés. Elle est admise par la plupart des adversaires déclarés de la musique expressive. Entre chacun des deux extrêmes et l’état moyen, il y a un nombre de degrés considérable, sinon infini, que la musique instrumentale est capable de traduire par les combinaisons prodigieusement variées et nuancées de ses diverses ressources. Chaque instrument chantant, chaque orchestre à plus forte raison, a autant de degrés d’expression qu’il y a de degrés d’émotion dans les deux états extrêmes dont nous avons parlé et de degrés d’intensité vitale dans l’état moyen qui les sépare.

Dans le triple cadre de ces états phychologiques très généraux, et sur la triple échelle de degrés que la musique instrumentale est capable d’y marquer par ses moyens propres, jusqu’où s’étend la puissance expressive du compositeur et celle de l’exécutant ? jusqu’où la faculté interprétative de l’auditeur ira-t-elle sans s’égarer ?

Ou bien le compositeur exprime, soit sciemment, soit inconsciem-

  1. Pour les trois premiers articles, voir la Revue philosophique de janvier et mars 1882 et de janvier 1883