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sous ce nom n’en était, dit lord Cockburn, que plus utile : « il consistait à classer d’abord les différentes facultés, à en expliquer la nature, puis à montrer l’usage propre de chacune d’elles et le moyen de les perfectionner. Ce fut la première chose qui éveilla notre intelligence endormie. » Quant à la chaire de philosophie morale, elle était occupée par Dugald Stewart, qui exerçait sur les jeunes gens une véritable fascination. « Sa voix, dit lord Cockburn, était d’un charme singulier, et, comme il la ménageait, elle avait quelque chose de voilé, qui ne faisait que la rendre plus douce, I] avait l’oreille d’une exquise justesse, et je n’ai jamais entendu lire avec autant de perfection. Son geste était simple et élégant, non exempt toutefois d’une légère nuance de raideur tenant à la profession. Tout dans ses manières indiquait à la fois le professeur et le gentleman. Pour moi, ses leçons m’ouvrirent pour ainsi dire les cieux. Je sentis que j’avais une âme. Ces nobles aperçus, développés dans un langage superbe, m’élevaient dans un monde supérieur. J’étais aussi excité, aussi ravi que le serait un homme d’un goût cultivé, qui, ayant ignoré jusque-là l’existence de Milton, de Cicéron et de Shakespeare, serait tout à coup introduit au milieu de leurs splendeurs. Ces leçons changèrent toute ma nature. » Pour Mill, dont l’enthousiasme n’était pourtant pas le trait dominant, voici ce qu’il écrit en 1821 : « Durant toutes les années que j’ai passées à proximité d’Edinburgh, j’avais coutume de me glisser aussi souvent que je le pouvais dans la classe de M. Stewart, pour entendre une de ses leçons : c’était toujours une véritable fête. J’ai entendu Pitt et Fox prononcer quelques-uns de leurs discours les plus admirés ; mais je n’ai jamais rien entendu d’aussi éloquent, à beaucoup près, que certaines leçons du professeur Stewart, Mon goût pour les études qui ont fait et feront jusqu’à la fin de ma vie l’objet de ma prédilection, je le lui dois. »

Mill commença ses études de théologie (théologie proprement dite, histoire de l’Église, hébreu) en 1794 ; elles durèrent quatre hivers. Là encore il eut des maîtres de valeur ; M. Bain cependant, qui a eu la curiosité de rechercher, d’après le livre de prêts de la bibliothèque, quelles furent durant ce temps-là ses lectures, nous le montre beaucoup plus occupé de philosophie et d’histoire que de théologie. Il lit Ferguson (Histoire de la société civile), Cudworth, Adam Smith, Th. Reid. Hume (Essais). Bolingbroke, Locke. ! à sans cesse en mains les œuvres de Platon. En français (car dès lors notre langue lui est familière), il lit Rousseau, en commençant par « Émile, Massillon, Fénelon, Maupertuis. À peine, en quatre ans quelques ouvrages de religion et quelques sermons. Cette liste, paraît-il, ressemble très peu à celle des livres que lisaient ses condisciples.