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autre récit dit que, chez le marquis de Tweeddale, « il offensa les chefs de la famille en portant, à table, la santé d’une des jeunes personnes de la maison, ce qui le fit renoncer à sa position et prendre la résolution de vivre de son travail et du produit de sa plume. » Y a-t-il là deux faits distincts, ou un seul et même incident dénaturé, raconté de deux manières ? Mill n’y faisait jamais allusion, et dans les familles en question on ne se rappelle rien qui le concerne. Vers le même temps, on le retrouve à Edinburgh, dans un petit cercle littéraire composé en partie de ses ancien condisciples, écrivant pour diverses publications, cherchant sa voie, correcteur d’épreuves.

Durant toute cette période, il était souvent chez ses parents, et l’on a quelques détails sur le genre de vie qu’il y menait. Le logis était plus que modeste. Dans la grande chambre à deux lits, sa mère, à l’aide d’un rideau de grosse toile, lui avait pour ainsi dire taillé une pièce réservée, qui lui servait de chambre à coucher et de cabinet de travail, voire même de salle à manger ; car, s’il faut en croire les gens du lieu, il prenait là tout seul ses repas, préparés pour lui tout exprès, pendant qu’à la cuisine son père et sa mère mangeaient à une table, son frère et sa sœur à une autre, avec les ouvriers. Il passait au milieu de ses livres la plus grande partie de ses journées ; grand marcheur toutefois, il aimait aussi se promener : un bosquet étroit et écarté a gardé le nom de promenade de James Mill. Ses soirées se passaient souvent à la ferme, où l’on prenait le thé et où il était fort accueilli. Un des fils Barclay se destinait à l’Église ; il le guidait dans ses études. Bien des années plus tard, il écrira de Londres à un autre fils de la maison, avec un accent d’autant plus remarquable qu’il ne lui était guère habituel : « J’apprends que votre mère est dans un état de santé mélancolique. Elle doit sentir, hélas ! le poids des années. Offrez-lui, je vous en prie mon plus affectueux souvenir, et dites lui que peu de choses au monde me donneraient une joie plus grande que de la revoir. Les larmes me viennent aux yeux quand je songe à elle et à cet homme excellent, votre père. Je les ai toujours aimés par-dessus tout après mes propres parents, et pendant tant d’années je me suis senti dans leur maison aussi chez moi que dans la mienne. »

Une déception semble avoir décidé de son avenir en le détachant de l’Église, pour laquelle d’ailleurs, visiblement, il n’avait pas un goût bien impérieux. Le poste de ministre allait être vacant dans le joli village de Craig ; il y posa sa candidature ; mais, malgré l’appui de lady Stuart, il se vit préférer un rival par les professeurs de théologie de Saint-Andrews, de qui la nomination dépendait. C’est alors qu’il partit pour Londres (commencement de 1802). Il avait vingt-neuf