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TH. RIBOT. — les bases organiques de la personnalité

pas ; car, dès que des rudiments de sens spéciaux apparaissent, l’animal dépasse le niveau de la sensibilité générale ; et d’autre part la sensibilité générale seule suffit-elle à constituer une conscience ? On sait que le fœtus humain fait des efforts pour se soustraire à une position incommode, à l’impression du froid, à une irritation douloureuse ; mais sont-ce des réflexes inconscients ?

J’ai hâte de sortir de ces conjectures. Ce qui est du moins indiscutable, c’est que la conscience organique (c’est-à-dire celle que l’animal a de son corps et rien que de son corps) a, dans la plus grande partie de l’animalité, une prépondérance énorme ; qu’elle est en raison inverse du développement psychique supérieur, que partout et toujours cette conscience de l’organisme est la base sur laquelle l’individualité repose. Par elle tout est, sans elle rien n’est. Le contraire ne se comprend pas : car n’est-ce pas par l’organisme que viennent les impressions extérieures, matière première de toute vie mentale, et, ce qui importe encore plus, n’est-ce pas en lui que les instincts, sentiments, aptitudes propres à chaque espèce, à chaque individu, sont inscrits et fixés par l’hérédité, on ne sait comment, mais, — les faits le prouvent, — avec une solidité inébranlable ?

III

Si donc on admet que les sensations organiques venant de tous les tissus, de tous les organes, de tous les mouvements produits, en un mot de tous les états du corps, sont représentés à un degré quelconque et sous une forme quelconque dans le sensorium, et si la personnalité physique n’est rien de plus que leur ensemble ; il s’ensuit qu’elle doit varier avec eux et comme eux et que ces variations comportent tous les degrés possibles, du simple malaise à la métamorphose totale de l’individu. Les exemples de « double personnalité » dont on a fait si grand bruit (nous en parlerons plus tard) ne sont qu’un cas extrême. Avec une patience et des recherches suffisantes, on trouverait dans la pathologie mentale assez d’observations pour établir une progression, ou plutôt une régression continue du changement le plus passager à l’altération la plus complète du moi. Le moi n’existe qu’à la condition de varier continuellement : ce point est incontesté. Quant à son identité, ce n’est qu’une question de nombre elle persiste tant que la somme des états qui restent relativement fixes est supérieure à la somme des états qui s’ajoutent à ce groupe stable ou s’en détachent.

Pour le moment, nous n’avons à étudier que les désordres de la