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TH. RIBOT. — les bases organiques de la personnalité

La nature et l’évolution des maladies physiques et mentales nous fournissent des faits bien probants. Si les secondes seules intéressent la psychologie, les premières révèlent une similitude dans la constitution intime des deux organismes, que la vue ne peut constater comme les ressemblances extérieures.

« J’ai donné mes soins, dit Trousseau, à deux frères jumeaux si extraordinairement ressemblants qu’il m’était impossible de les reconnaître à moins de les voir l’un à côté de l’autre. Cette ressemblance physique s’étendait plus loin ; ils avaient une ressemblance pathologique plus remarquable encore. L’un d’eux que je voyais à Paris, malade d’une ophthalmie rhumatismale, me disait : « En ce moment, mon frère doit avoir une ophthalmie comme la mienne. » Et, comme je m’étais récrié, il me montra quelques jours après une lettre qu’il venait de recevoir de son frère, alors à Vienne, et qui lui écrivait : « J’ai mon ophthalmie, tu dois avoir la tienne. » Quelque singulier que ceci puisse paraître, le fait n’en est pas moins exact. On ne me l’a pas raconté, je l’ai vu, et j’en ai vu d’autres analogues dans ma pratique[1]. » Galton donne plusieurs exemples dont nous ne citerons qu’un seul. Deux jumeaux parfaitement semblables, très attachés l’un à l’autre et ayant des goûts identiques, avaient tous les deux un emploi du gouvernement. Ils tenaient ménage ensemble ; l’un fut atteint de la maladie de Bright et en mourut ; l’autre fut atteint de la même maladie et mourut sept mois après (p. 226).

On remplirait des pages de cas analogues. Dans l’ordre des maladies mentales, il en est de même ; quelques exemples suffiront. Moreau (de Tours) a observé deux jumeaux, physiquement semblables, qui étaient atteints de folie. Chez eux, « les idées dominantes sont absolument les mêmes. Tous les deux se croient en butte à des persécutions imaginaires. Les mêmes ennemis ont juré leur perte et emploient les mêmes moyens pour arriver à leurs fins. Tous deux ont des hallucinations de l’ouïe. Ils n’adressent jamais la parole à qui que ce soit, répondent avec peine aux questions. Ils se tiennent toujours à l’écart et ne communiquent pas entre eux. Un fait extrêmement curieux et qui a été nombre de fois constaté par les surveillants de la section et par nous-mêmes est celui-ci ; de temps à autre, à des intervalles très irréguliers, de deux, trois et plusieurs mois, sans cause appréciable et par un effet tout spontané de la maladie, il survient un changement très marqué dans la situation des deux frères. Tous les deux, à la même époque et souvent le même jour, sortent de leur état de stupeur et de prostration habituel ; ils font entendre les mêmes plaintes et viennent d’eux-mêmes prier instamment le

  1. Trousseau, Clinique médicale, I, 253 (Leçon sur l’asthme).