Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/667

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
663
ANALYSES.lmalcolm guthrie. On Mr Spencer’s, etc.

finie variété des êtres et des phénomènes ? Une seule route mène à l’absolu, celle qu’a suivie Plotin, la route du mysticisme[1]

Aussi bien M. Spencer commence-t-il l’exposition des Premiers principes par un acte de foi religieuse. Il se prosterne devant l’Inconnaissable et offre l’encens au dieu inconnu.

Osera-t-on dire que tout ce qui est, n’existe que dans et par l’Inconnaissable ? M. Spencer s’arroge ce droit ; mais espère-t-il avoir rendu raison de tout ? dire que l’oxygène et l’hydrogène sont des manifestations d’un inconnaissable, ou d’un pouvoir inconnu, cela fait-il avancer la science ? « Pas d’un iota, » répond M. Guthrie.

Sortons de l’Inconnaissable. Dans ce monde qui nous est accessible, on remarque que tous les phénomènes sont, ou des phénomènes de conscience, ou des phénomènes objectifs. Donc, si l’on ne sait rien de l’Inconnaissable tel qu’il est en soi et par soi, on peut affirmer du moins que toutes ses manifestations se ramènent à deux, les subjectives et les objectives, les fortes et les faibles.

Que vaut l’assertion ? qu’implique-t-elle ? quels en sont les corollaires ? Si l’on vient nous dire que l’espèce homme comprend d’une part les hommes, de l’autre les femmes, pourrons-nous déduire de cette proposition générale la pluralité des races humaines ? Pourrons-nous connaître à priori les variétés ethnologiques[2] ? La proposition est stérile et la « méthode psychologique d’unification », à laquelle M. Spencer avait recours, en désespoir de cause, est une méthode condamnée.

Aussi va-t-il essayer d’une autre que M. Malcolm Guthrie appelle « la méthode métaphysique[3] ». Il nous dira par exemple que tout ce qui est, n’existe qu’en vertu de la « persistance de la force ». Rien de mieux, pourvu qu’on sache ce qu’est la force. M. Spencer s’en garde bien de le savoir : la force, c’est, pour lui, un mode de l’Inconnaissable ; disons mieux, c’est l’un des noms de l’Inconnaissable. Loin d’avancer, on recule et on se retrouve en présence du mysticisme qu’on voulait éviter.

Pour échapper à cet inconvénient, le mieux n’est-il pas d’unifier la science sans franchir les bornes du monde connu ? Aussitôt les termes prendront un sens précis, on saura toujours de quoi l’on parle ; le terme matière signifiera dès lors ce que tout le monde sait ; il deviendra le substitut d’un certain nombre de phénomènes ; produits, s’il faut en croire les chimistes, par soixante-dix corps indécomposable. Mais pourra-t-on expliquer tous les phénomènes de l’univers sans introduire dans l’explication aucun facteur additionnel ? Les propriétés des soixante-dix corps simples suffiront-elles à la tâche ? Et d’ailleurs, quand cela serait, comment se flatter d’avoir unifié la connaissance si l’on reste en face de soixante-dix facteurs irréductibles ? La « méthode

  1. Cf. Malcolm Guthrie, ouvr. cit., p. 9 et suiv.
  2. Ibid., p. 25.
  3. Ibid., p. 30.