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propose uniquement de connaître les rapports et les enchaînements d’une certaine classe de phénomènes qu’elle s’est donnés comme objet, la philosophie prétend à la connaissance de l’essence générale, de l’en-soi de ces rapports ; c’est à ce titre qu’elle est la base du savoir, la science de la science. Juge suprême de l’œuvre des sciences particulières, elle comprend et interprète leurs résultats, les redresse par la critique, et peut seule mener à son terme véritable la pensée scientifique, en donnant à chaque moment la place et l’importance qui lui conviennent. C’est ainsi que, par l’étude de ces catégories générales et tout à la fois du contenu qui se développe au travers d’elles, elle est non seulement la connaissance des méthodes, mais l’encyclopédie et la systématique des sciences ; elle réalise l’unité la plus élevée de la conscience. — Dans l’accomplissement de cette tâche, elle est d’abord la métaphysique, la logique et l’encyclopédie, c’est-à-dire la science de la pensée ; elle est ensuite l’éthique ou la science de l’action ; dans la philosophie de l’art, elle est la science du sentiment, de la joie et de la douleur qui sont tout le domaine de l’art ; enfin, dans la philosophie de la religion, elle embrasse dans leur notion les croyances religieuses, et, dans cette œuvre de réconciliation profonde, elle élève la conscience jusqu’au terme suprême de son développement, à la réalisation la plus parfaite de son harmonie idéale (Intr., pp. 1-7).

Tel étant l’objet de la philosophie, quelle sera sa méthode ? Y a-t-il une opposition absolue entre la science de la notion et celle de l’expérience ? y a-t-il un dualisme inconciliable de l’à priori et de l’à posteriori, de la synthèse et de l’analyse, de la dialectique et de l’induction ? — La limite infranchissable que l’on cherche à tracer entre ces deux méthodes démontre d’elle-même que ce sont là deux moments abstraits de la recherche scientifique, deux procédés également imparfaits de la pensée, impuissante lorsqu’elle emploie l’un à l’exclusion de l’autre, véritablement forte et féconde lorsqu’elle reconnaît leur union profonde et qu’elle s’appuie sur leur alliance nécessaire. Car toute connaissance est un processus qui suppose deux facteurs, l’un qui donne l’impulsion, l’autre qui la reçoit, l’un actif, l’autre passif ; ainsi de l’impression sensible, ainsi de la conscience immédiate, ainsi du souvenir ; à tous les degrés de la pensée il est une part d’à priori, engendré par l’esprit, et une part d’à posteriori donné par l’expérience. Avec son sujet aposte-riodique et son prédicat apriorique, le jugement est la forme, le type de toute pensée.

Non pas que la fusion se fasse entre des éléments fixes et préexistants ; les catégories métaphysiques ne sont pas primitivement terminées : la conscience les engendre au travers de son développement, aux phases diverses de sa lutte avec l’élément à posteriori, auquel elles imposent leurs formes. — Ainsi les ambitieuses déductions de la philosophie purement spéculative et les lentes inductions de la science expérimentale sont incomplètes et exclusives ; bien plus, elles sont impossibles si elles ne s’appuient l’une l’autre. L’empirisme le plus