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SPENCER. — passé et avenir de la religion

jours à la pensée sous les traits de cette énergie intérieure dont nous avons conscience comme d’un effort musculaire. Nous sommes obligés de symboliser la force objective en des termes exprimant la force subjective, faute de tout autre symbole.

Voyez maintenant les conséquences. Cette énergie interne qui dans les expériences de l’homme primitif était toujours l’antécédent immédiat des changements opérés par lui-même, cette énergie que, dans l’interprétation des choses extérieures, il associait avec ces attributs d’une personnalité humaine telle qu’elle y est associée en lui-même, est la même énergie qui, débarrassée des accompagnements anthropomorphiques, est représentée maintenant comme la cause de tous les phénomènes extérieurs. La dernière étape à laquelle on est arrivé, c’est l’admission de la vérité que la force telle qu’elle existe en dehors de la conscience ne peut pas être semblable à ce que nous connaissons comme force dans la conscience, et que cependant, comme chacune d’elles est capable d’engendrer l’autre, les deux doivent nécessairement être différents modes de la même force. Par conséquent le résultat final de cette spéculation commencée par l’homme primitif, c’est que la puissance qui se manifeste dans l’univers matériel est la même puissance qui en nous-mêmes apparaît sous la forme de la conscience.

Il n’est donc pas vrai que l’argumentation précédente se propose de faire découler une croyance vraie d’une croyance qui était entièrement fausse. Au contraire, la dernière forme de la conscience religieuse est le développement final d’une conscience qui au début contenait un germe de vérité obscurci par d’innombrables erreurs.

Ceux qui pensent que la science dissipe les croyances et les sentiments religieux ne semblent pas s’apercevoir que tout côté mystérieux enlevé à l’ancienne interprétation est ajouté à la nouvelle, ou plutôt, nous pouvons dire que la transposition de l’une à l’autre marque un progrès, puisqu’à une explication qui a un semblant de plausibilité, elle substitue une explication qui, en nous ramenant seulement à une certaine distance en arrière, nous laisse là en présence de ce qui est manifestement inexplicable.

Sous l’un de ses aspects, le progrès scientifique est une transfiguration progressive de la nature. Là où la perception ordinaire apercevait une complète simplicité il nous révèle une grande complexité ; là où paraissait être une immobilité absolue il découvre une activité intense ; et en ce qui semble être un vide complet il trouve un concours merveilleux de forces. Chaque génération de physiciens découvre dans la matière appelée brute des forces à l’existence desquelles les plus savants physiciens n’auraient pas cru quelques