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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/260

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tement de voler ou de grimper. Il y a plus : une somnambule reçoit un ordre. « Vous prendrez le mouchoir de M. O… et vous le jetterez dans le feu. — Quand vous serez éveillée, vous témoignerez de la sympathie à M. F… et de l’antipathie à M. D… » Aussitôt son réveil, elle exécute ponctuellement l’ordre reçu et pourtant oublié. On lui dit : « Vous reviendrez tel jour, à telle heure. » Réveillée, elle a oublié cet ordre et dit : « Quand voulez-vous que je revienne ? — Quand vous pourrez, un jour quelconque de la semaine prochaine. À quelle heure ? — Quand vous voudrez. » Et régulièrement, avec une ponctualité surprenante, elle arrive au jour et à l’heure qui ont été indiqués. Or comment se souviendrait-on de ce qui n’a, dans aucune mesure, été présent à la conscience ? Il faut donc admettre que au moment où le mécanisme cérébral entre en jeu et provoque les changements de physionomie, le mécanisme mental est intéressé et la conscience plus ou moins avertie. Il y a une correspondance étroite entre les mouvements physionomiques et la cérébration inconsciente ou consciente, la même qu’entre l’organe et le centre cérébral de perception. On sait comment Campanella pénétrait la pensée des gens qu’il avait intérêt à connaître : il prenait leurs attitudes et tâchait, en mime et en acteur consommé, de leur ressembler le plus possible, sûr que cette ressemblance extérieure produirait une ressemblance intérieure. N’est-ce pas l’application anticipée de la loi de Charcot ? Qu’il y ait dans l’esprit des souvenirs ignorés, c’est un fait qu’il ne faut pas admettre sans réserves ; la vérité, c’est qu’il y a des souvenirs auxquels nous ne pensons pas actuellement, des réapparitions régulières qui ne sont point accompagnées de reconnaissance, voilà tout. On peut, si l’on veut, appeler mémoire inconsciente la faculté d’avoir de pareils souvenirs ; mais il faut se garder de prendre cette expression à la lettre ; la seule mémoire véritablement inconsciente serait la rétentivité cérébrale, mais il est extrêmement douteux que l’appareil physiologique puisse dans aucun cas agir isolément et se séparer totalement de l’appareil mental. Il jette constamment ses produits dans la circulation psychologique et intellectuelle. Il y a une pensée du cerveau ; c’est le rêve. Le rêve est beaucoup mieux suivi et joue un plus grand rôle qu’on ne pense. Les philosophes se posent cette question : Y a-t-il un sommeil sans rêves ? et ils répondent négativement, par cette raison principale que l’absence de souvenirs ne prouve nullement l’absence de rêves. On devrait se demander également si nous sommes un seul instant sans rêver, même pendant la veille et pendant le plus réfléchi, le plus soutenu et le plus lucide des travaux purement intellectuels. On s’étonne trop de certains faits qui ne paraissent si bizarres que par