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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/434

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générales, mais d’ordinaire et pour cela même confuses, sont un sujet d’effroi pour qui n’est pas familier avec leurs travaux. Telle page de Kant fera, sur la plupart des algébristes, le même effet qu’une page d’algèbre supérieure sur le commun des philosophes, et peut-être la chose n’est pas à l’avantage de ces derniers.

Le mathématicien, en fait, n’écrit que pour les mathématiciens, et il lui suffit d’être compris de ceux qui occupent les premiers rangs ; plus la science se développe et plus les différentes branches se spécialisent davantage, plus se restreint naturellement la proportion de ceux qui peuvent en embrasser tout l’ensemble, et l’on conçoit qu’il pourra venir une époque où un mathématicien devra être regardé comme d’autant plus puissant, qu’il sera complètement compris dans un cercle plus étroit.

Un philosophe devrait avoir un tout autre idéal, au moins quand il traite de la théorie d’une connaissance ; il s’adresse non seulement aux philosophes de profession, mais encore à tous ceux qui possèdent cette connaissance, soit mathématique, soit physique, et ce sont, en somme, ceux qui la possèdent le mieux qui sont ses juges les pl us compétents ; il est donc essentiel que son langage leur soit accessible.

Malheureusement l’obscurité est un peu à la mode, et on la prend pour un signe de profondeur. Il est vrai que les grands génies philosophiques depuis un siècle, pour ne pas remonter plus haut, sont souvent obscurs, mais ce n’est point dans leurs défauts qu’il faut chercher à les imiter.

J’ai essayé de signaler le premier écueil à éviter dans la critique de la connaissance mathématique ; j’ai le regret dé ne pouvoir dire qu’il l’ait été par M. Cohen. Cet illustre tenant de la philosophie kantienne vient de publier une étude sur le principe de la méthode infinitésimale, et il l’a rendue très intéressante en y recueillant de nombreux textes historiques en général peu connus. Mais sa conception de la différentielle comme une réalité intensive ne se formule point dans une conclusion nettement saisissable pour un pur mathématicien, et les commentaires dont il l’accompagne né sont intelligibles que pour les criticistes.

Mon lecteur pourrait désirer des détails plus circonstanciés sur les opinions de M. Cohen ; mais je lui demandrai de m’excuser ; il me semble inutile de développer une conception que je considère comme erronée, qu’il me faudrait donc aussi réfuter, alors qu’il m’est impossible de la regarder comme ayant quelque chance de succès, soit dans le public mathématique qui ne peut guère la saisir, soit dans le public philosophique, pour lequel elle ne constitue aucun progrès