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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/491

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A. BINET. — l’hallucination

avait placé l’objet imaginaire pour que l’hallucination recommence. Cette persistance de la suggestion donne lieu à quelques conséquences intéressantes. Ainsi on persuade au sujet endormi qu’un des assistants a un faux nez, des yeux verts, une bosse, ou sent mauvais. Lu malade, une fois réveillée et rendue à la vie commune, éclate de rire en voyant l’assistant ou se détourne de lui avec horreur : elle voit encore la difformité imaginaire, et conserve parfois son hallucination pendant plusieurs jours. Il paraît qu’on s’est servi de ce moyen pour faire cesser les relations de certaines hystériques[1].

L’hallucination peut enfin survivre sous une troisième forme, à l’état de souvenir. Les auteurs en ont cité plusieurs exemples[2], En voici deux, pris entre mille. Dans une de mes dernières expériences sur la nommée Cad.…., je lui avais fait apparaître le portrait de M. Charcot ; quelque temps après son réveil, je l’aperçus qui cherchait sur la table, avec l’aide du garçon de laboratoire, un objet égaré ; c’était tout simplement la photographie de M. Charcot qu’elle voulait emporter. Une autre de mes malades, que j’avais fait causer, pendant son sommeil, avec un de ses amis, me parla de cet ami huit jours après et croyait l’avoir réellement vu ; j’eus même toutes les peines du monde à la détromper. Ce dernier genre d’erreur a quelque importance au point de vue médico-légal. Ne pourrait-il pas arriver qu’un témoin entièrement de bonne foi vint déposer sur des faits imaginaires, dont l’origine remonterait à une séance d’hypnotisme Que de questions graves pourraient être ainsi soulevées ! Question d’alibi, questions d’identité de personne, et même accusation portée contre un innocent. Il est urgent que les médecins et les magistrats prennent connaissance de tous ces phénomènes, que peut-être on exploitera demain.

Au point de vue purement psychologique, il est intéressant de constater la durée de ces hallucinations post-hypnotiques. Ce n’est pas sans étonnement qu’on voit une femme qui paraît jouir pleinement de sa raison, conserver encore, plusieurs jours après la séance, une trace du délire qu’on avait produit artificiellement chez elle[3].

Accord de tous les sens. — À l’état normal, ce que l’œil voit, la main le touche, l’oreille l’entend. Lorsqu’on fait naître une hallucination chez un sujet hypnotisé, tous les sens sont aussi d’accord, mais

  1. Féré, loc. cit.
  2. Heidenhain, Der sogennante animalische Magnestismus, Breslau, p. 12 et 13 ; Yung, Sommeil normal et pathologique, p. 131.
  3. On ne peut s’empêcher de comparer ces hallucinations qui persistent après le réveil, aux ordres que l’on donne aux somnambules, et qu’elles exécutent, après le réveil aussi, au jour et à l’heure indiqués, sans avoir conscience du motif (V. Richet, Revue philosophique, mars 1883).