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En outre, il importe beaucoup de distinguer la nature du timbre selon que les baguettes sont à tête de bois, à tête d’éponge, à tête voilée de drap.

La double timbale peut être chargée de représenter analogiquement un bruit ou un son particulier, et de telle façon que ce bruit ou ce son ne soit confondu avec aucun autre. Y suffira-t-elle ? C’est à examiner. Le timbalier, avec des baguettes à tête de bois, frappe des deux mains un coup sec, au milieu du silence complet de l’orchestre. Ce coup n’a pour l’auditeur aucune espèce de signification’psychologique. Mais il présente certaines analogies physiques ; il me fait penser à un marteau de menuisier tombant sur une planche, à une pierre fortement lancée contre un volet, à une décharge de pistolet, au claquement d’un fouet, que sais-je encore ? À quoi m’arrêterai-je ? Me voilà aussi embarrassé que tout à l’heure par la grosse caisse. Qui me tirera d’embarras ? L’orchestre évidemment ; mais encore, quelles sonorités de l’orchestre ?

L’ouverture du Jeune Henri, de Méhul, est réputée un chef-d’œuvre de musique pittoresque. M. H. Blaze de Bury a donné de cette symphonie une analyse aussi brillante qu’instructive. Je ne saurais là copier ici, quelque bonne envie que j’en aie. Le passage suivant contient d’ailleurs toute la leçon expérimentale qui m’est nécessaire en ce moment.

« Cette ouverture du Jeune Henri… n’est point une méditation instrumentale sur la chasse telle que Beethoven l’eût composée ; c’est le tableau même d’une chasse à courre depuis la quête jusqu’à la curée. L’aube s’éveille humide et calme ; le musicien réunit ses cavaliers, leur fait trouver le pied du cerf ; ils le lancent, galopent avec lui, le perdent, le cherchent, le retrouvent, le poursuivent plus vivement. La bête forcée se rend enfin, Un coup de timbales, imitant le coup de feu, annonce qu’elle est frappée à mort ; un gémissement douloureux s’exhale, aussitôt couvert par un cri de victoire que tous les instruments à vent entonnent à pleine embouchure ; on sait que les airs sonnés par la trompe doivent changer selon que la situation de la chasse l’exige ; Méhul ne pouvait sans un contre-sens se borner à un ou deux motifs principaux. Il a donc réglé l’ordonnance de ses mélodies sur celle du tableau qu’il avait à peindre, s’attachant à reproduire avec fidélité les divers appels consacrés, et mis en tonte valeur un effet employé déjà par Philidor dans Tom Jones et par Haydn dans les Saisons[1]. »

Cette page pleine de verve, que nul autre peut-être ne serait capable d’écrire aujourd’hui, veut être bien comprise. L’auteur ne pense aucunement que Méhul ait changé les instruments de l’orchestre en crayons et en pinceaux. Mieux que pas un de ses lec-

  1. Revue des Deux-Mondes, 15 juillet 1882, page 487.