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LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

fixée que par d’autres mots auxquels ils sont liés, de même notre roulement de timbales, adjectif musical, caractérise plusieurs sonorités musicales différentes et n’a son expression qualificative vraiment déterminée que par d’autres éléments de la phrase musicale. Second résultat de l’analyse.

Réunissons maintenant ces deux résultats ; ils nous enseignent quelque chose d’important que voici : le timbre des timbales, supérieur sans contestation à celui de la grosse caisse et justement considéré comme très pittoresque, ce timbre ne saurait être ni substantif musical défini, ni adjectif musical déterminé sans le concours d’instruments plus vocaux, plus timbrés, partant plus psychologiques que lui.

Voilà pourtant ce que sont, abandonnés à eux-mêmes, deux instruments à percussion dont l’adjonction à l’orchestre a été et est encore tenue pour un notable progrès de la musique pittoresque. Sans nier le progrès, il est permis de lè mesurer au juste et d’en compter tous les éléments.

Poursuivons notre étude, mais en franchissant quelques degrés de l’échelle des timbres.

Le gros public se mêle quelquefois d’apprécier les divers instruments de musique et de leur assigner des rangs. Il y en a un que beaucoup méconnaissent, que d’autres déprécient, que la plupart tournent en ridicule, parce qu’ils ne l’ont entendu que dans les carrefours ou à la foire. Ecoutez comment, tout au contraire, l’ont jugé les maîtres : « Gluck, Beethoven, Mozart, Weber, Spontini et quelques autres, dit Berlioz, ont compris toute l’importance du rôle des trombones ; ils ont appliqué avec une intelligence parfaite à la peinture des passions humaines, à la reproduction des bruits de la nature, les caractères divers de ce noble instrument ; ils lui ont en conséquence conservé sa puissance, sa dignité, sa poésie[1]. » Ainsi les modernes compositeurs de génie ont reconnu dans le timbre de cet instrument une force sonore capable de caractériser d’un côté les bruits de la nature, en quoi elle est pittoresque, et d’un autre côté les passions humaines, en quoi elle est psychologique. Berlioz se plait à énumérer les expressions diverses de cette riche sonorité : « Le trombone est, à mon sens, le véritable chef de cette race d’instruments à vent que j’ai qualifiés d’épiques, il possède, en effet, au suprême degré la noblesse et la grandeur ; il a tous les accents graves ou forts de la haute poésie musicale, depuis l’accent religieux, imposant et calme, jusqu’aux clameurs forcenées de l’orgie. Il dépend du compositeur de le faire tour à tour chanter

  1. Grand traité d’instrumentation et d’orchestration, page 223.