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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/539

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F. PAULHAN. — la morale idéale

C’est là un point de vue faux. Deux choses ne peuvent pas ou ne peuvent que par exception être de même valeur ; d’un autre côté, toute chose qui plaît à n’importe qui a une certaine valeur esthétique. Il y a une échelle du beau et du goût.

Il est bien clair que, s’il y a une règle du goût, c’est en dehors du goût lui-même qu’il faut la chercher. On ne voit pas a priori pourquoi le sens esthétique de l’un ne vaudrait pas celui de l’autre. Vous aurez beau me parler d’éducation, d’instruction, d’étude des maîtres, de consentement général, je pourrai toujours répondre que tous ces arguments reposent sur une pétition de principe. Pourquoi un sens esthétique prendrait-il plus de valeur en s’exerçant, si l’on ne le considère qu’au point de vue subjectif ? Pourquoi d’ailleurs tous les artistes seraient-ils si profondément séparés sur certaines questions ? Pourquoi le consentement général désignerait-il à l’admiration des choses si opposées, et les mêmes choses au blâme dans des temps différents. C’est évidemment ailleurs qu’il faut chercher la règle.

Les hommes sont inégaux en tout. Les uns ont meilleure vue que d’autres, les autres meilleure ouïe, d’autres sentent mieux, etc. Comment aura-t-on un critérium qui permette de faire une différence à cet égard entre les différents individus et de mettre les uns au-dessus des autres. Il est facile de le voir. Si quelqu’un me dit reconnaître à une certaine distance, une certaine personne, si je lui soutiens qu’il se trompe, si vérification faite, il se trouve qu’il a raison, je reconnaîtrai que sa vue est meilleure que la mienne. En entendant le son d’un instrument lointain, il croit reconnaître un piano, tandis que je crois reconnaître une flûte, si vérifiant le fait ; la vue et le tact nous démontrent qu’il a raison, je reconnaîtrai que son ouïe est plus exercée que la mienne. Le critérium ici est incontestable. En quoi consiste-t-il en dernière analyse, en ceci que chez l’un les données de l’ouïe et de la vue s’accordaient avec celles que les autres sens ont données ensuite, tandis qu’il n’en était pas de même pour l’autre.

Si, au lieu d’examiner la vue et l’ouïe, nous nous occupons de l’intelligence, de tout ce qui rapporte, en un mot, à la connaissance, les faits extérieurs, nous trouvons toujours le même fait, à savoir que la perfection d’une faculté est en raison directe du degré de concordance de cette faculté avec les données de nos autres moyens de connaissance, ou ce qui revient au même, des moyens de connaissance des autres hommes. La perfection en ce genre est donc atteinte par une concordance complète, par une systématisation sans défaut.

Il faut voir toute la signification de ce mot. La systématisation est d’autant plus grande : 1o qu’elle s’applique à un plus grand nombre d’éléments, toutes choses égales d’ailleurs ; 2o que ces éléments sont