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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/580

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tendance native de la matière à se solidifier d’après des axes ou des modes d’arrangement définis. L’organologie nous atteste mieux encore’l’évidence du fait ; on peut s’en remettre à Darwin lui-même, et il suffit de se rappeler l’appel constamment adressé à l’hérédité, à la tendance à la différenciation, à la corrélation de croissance. Quant à la psychologie moderne, ne nous a-t-elle pas prouvé avec la dernière clarté qu’il y a en nous une incessante lutte entre le conscient et l’inconscient, un perpétuel conflit du possible et du réel ?

Antinomie, même dans le domaine de la science, des mathématiques et de la physique. « On a bien pu s’affranchir de la physique d’Aristote, on ne s’est pas émancipé du joug supérieur de sa métaphysique. » C’est là une forte présomption contre la valeur absolue de l’explication exclusivement mécanique de l’univers.

Laissons de côté la classification systématique des sciences rationnelles (38-45), que nous soumet M. Liebmann, malgré le sérieux effort de synthèse philosophique qu’elle atteste. La théorie mécanique de l’univers date du xviie siècle ; Descartes, Gassendi, Hobbes et Locke, parmi les philosophes, en sont les véritables promoteurs. Cette conception peut être d’ailleurs prise en trois sens. Dans son sens le plus large, ce serait la théorie qui ramènerait les phénomènes soumis au changement, leur apparition, transformation ou disparition à un simple changement de relations entre des substances simples d’elles-mêmes invariables, et qui éventuellement expliquerait ce changement de relations par des influences réciproques des substances simples. La métaphysique de Herbart et la monadologie de Leibnitz nous peuvent donner une idée d’un pareil système. Mais il y a un point de vue plus simple. Qu’on se représente sous la forme de l’espace des substances et leurs relations. Ces substances, animées de mouvement, situées en des points différents de l’espace, seront ou bien immédiatement contiguës et rempliront l’espace sans vide, ou bien constitueront des éléments corporels discontinus et séparés par des intervalles : on pourra dans les deux cas concevoir que leur seule action réciproque se réduise à une accélération de mouvement, leurs seules variations à des changements de lieu. Voilà, dans ses conditions essentielles la naïve mécanique du contact propre aux cartésiens, et la conception galiléo-newtonienne.

Le point de vue de la science contemporaine, le plus précis, ramène tout à trois formes générales d’existence ; un temps absolument uniforme, un espace absolument immobile, et des masses isolées qui à chaque instant déterminé du temps se trouvent en un lieu déterminé de l’espace. Chacune de ces masses, d’après la loi d’inertie, s’efforce de conserver sa vitesse actuelle et sa direction. Ce sont des centres de force soumis à des actions attractives ou répulsives, et ainsi tout événement physique se ramène à des changements de direction et de vitesse des masses données. Telle est, au xixe siècle, la conception mécaniste de l’univers, l’idéal d’explication rêvé et poursuivi par les savants.