Aller au contenu

Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/668

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
664
revue philosophique

accorde à l’individu l’intuition de la chose en soi, à ce qui est constitué par l’espace et le temps, l’intuition de ce qui n’est un que parce qu’il n’est soumis ni au temps ni à l’espace ! De plus, l’individu n’est qu’une manifestation éphémère de la volonté : comment donc ce qui n’est que passager connaîtra-t-il ce qui est éternel, comment le phénomène connaîtra-t-il son contraire, le noumène ? Aurons-nous recours à la seconde voie indiquée par Schopenhauer pour connaître la chose en soi ? Sortirons-nous de nous-mêmes pour contempler les idées ? mais le génie lui-même ne peut saisir qu’une manifestation, « la plus adéquate possible », de la chose en soi et non la chose en soi elle-même.

Quels caractères Schopenhauer attribue-t-il à la volonté ? Il la placée au-dessus de l’intelligence, et la principale raison par laquelle il justifie cette opinion, c’est que le cerveau produit l’intelligence et est produit lui-même par la volonté. Schopenhauer, qui plaisante sur le bagage de miracles que toute religion traîne après elle, semble ne pas voir que la création du cerveau par une volonté, qui ne sait pas ce qu’elle fait, est, pour se servir de son expression favorite, le miracle par excellence. D’ailleurs, si la volonté créatrice est inintelligente, pourquoi Schopenhauer admet-il des causes finales ? Mais on ne peut même pas dire que la volonté agisse sans but, car elle est la ruse même ; son but c’est de nous tromper, de nous « exploiter ». Toutefois Schopenhauer a raison de dire que la volonté est aveugle, puisqu’elle créé l’intelligence, qui lui persuade de ne plus vouloir, et la supprime, en théorie du moins ; car la volonté de Schopenhauer, en se niant elle-même, n’a pas amené la fin du monde.

Quelle est enfin la valeur du monisme de la volonté ? Schopenhauer se sépare du panthéisme ordinaire puisqu’il ne voit Dieu nulle part et qu’il est pessimiste : sa doctrine est un pandynamisme athée. Mais on peut lui faire l’objection qu’on adresse d’ordinaire au panthéisme : comment concilier la multiplicité des êtres avec l’unité de la substance première qui est tout ? Dire que la multiplicité n’est qu’idéale, c’est simplement reculer la difficulté ; car la pluralité des cerveaux est antérieure à l’idée que s’en fera plus tard l’intelligence, et il faut toujours expliquer comment la volonté une et infinie a créé des réalités multiples, D’ailleurs les idées, qui servent de trait d’union entre l’unité et la pluralité, sont elles-mêmes multiples, et il serait toujours nécessaire de montrer comment des idées multiples expriment une volonté une.

Schopenhauer a réuni en lui « ces étonnantes contrariétés » que Pascal, auquel on l’a comparé, s’est tant plu à relever chez l’homme ; son système nous apparaît parfois comme « un monstre incompréhensible. »

Le noumène a mis Kant, Fichte, Schelling et Schopenhauer en contradiction avec le criticisme qui est leur point de départ ; il faut donc opter entre le criticisme et la chose en soi. M. Ducros se prononce pour le criticisme.

III. M. Ducros se rapproche par cette conclusion de M. Renouvier. Qu’il