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P. TANNERY. — la théorie de la matière d’après kant

savoir quelle portée présente l’affirmation de l’existence de deux forces originaires distinctes, l’une répulsive, l’autre attractive. Cette distinction est-elle vraiment nécessaire, et ces deux forces ne peuvent-elles être réduites à une seule ?

Une réflexion un peu attentive montre que cette réduction s’impose. L’idée que la force répulsive s’exerce seulement au contact de deux surfaces est insoutenable. Du moment où la matière est continue, cette répulsion doit se propager par son intermédiaire ; on arrive dès lors à la concevoir comme s’exerçant entre deux éléments infinitésimaux quelconques, suivant une certaine fonction de la distance d’une part, de coefficients intensifs de l’autre.

Un exemple bien connu montre que de la répulsion ainsi conçue doit dériver une force attractive. Un ballon s’élève dans l’air, comme repoussé par la terre, quoique tous les éléments qui le constituent, tout aussi bien que le milieu qui l’entoure, soient pesants. Mais il est moins pesant que le milieu à volume égal, et cela suffit. Ici l’attraction engendre donc une répulsion. Réciproquement la répulsion engendrera l’attraction ; le soleil attirera la terre, s’il la repousse moins à volume égal que le milieu éthéré au sein duquel elle est supposée plongée ; c’est une simple question de relation entre les coefficients intensifs et spécifiques des éléments matériels.

Du moment où l’on admet un milieu continu, la conclusion est nécessaire, et des hypothèses, d’ailleurs très simples, conduisent immédiatement à la loi de la gravitation universelle. À ce point de vue, il est d’ailleurs indifférent de supposer primordiale soit l’attraction, soit la répulsion ; l’une se déduira de l’autre. Ces concepts de forces primordiales apparaissent dès lors comme relatifs, comme dépendant d’une détermination arbitraire des coefficients intensifs ; où nous croyons toucher l’absolu, la réalité première, nous en sommes rejetés bien loin, nous retombons en plein subjectif.

Que reste-t-il dès lors de la discussion entreprise par Kant ? Deux points doivent attirer notre attention ; et tout d’abord l’idée que tout mouvement ne peut être modifié, entravé, arrêté que par un autre mouvement. Il y a un postulat dont le caractère à priori me semble incontestable, et qui est d’ailleurs le fondement des théories physiques actuelles ; de ce postulat dérive nécessairement l’unité de la force primordiale ; mais cette unité n’a qu’un sens, celui de l’existence du problème suivant Trouver la loi la plus générale de la communication du mouvement. Elle ne permet de faire aucun pas pour la solution de ce problème, qui dépend exclusivement des progrès de la science physique et des mathématiques.

Le second point est cette notion de coefficients spécifiques inten-