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une droite comprise dans l’élément, et les actions qui s’exercent suivant la direction de cette droite. Enfin, pour faire abstraction du mouvement de translation dû aux forces extérieures, on peut admettre que ces forces (agissant aux deux extrémités de la droite), soient égales et opposées.

Dans ces conditions, la longueur de l’élément étant d’ailleurs arbitraire, si en tout point l’action n’est pas égale à la réaction, il s’ensuivra nécessairement un déplacement du milieu, c’est-à-dire un mouvement de translation de l’ensemble. Cette conséquence apparaît comme sans raison suffisante, avec les hypothèses faites, et comme contraire à la convention formulée comme principe d’inertie, en ce sens que l’on rencontrerait là une force, une cause de mouvement que l’on n’a pas abstraite de la matière.

Tel est le côté apriorique de la loi d’égalité d’action et de réaction au contact ; il y a là une condition nécessaire de l’expérience, d’après laquelle cette égalité doit être posée, sauf à rétablir l’accord avec les faits observés par l’introduction de forces spéciales dont les lois seraient à découvrir expérimentalement. C’est ici qu’intervient l’expérience pour établir que l’introduction de telles forces est inutile ; il est clair d’ailleurs que cette expérience portera en fait sur ce qu’on appelle vulgairement l’inertie de la matière.

Si l’on passe maintenant aux actions à distance, il est facile de reconnaître que si on les conçoit comme résultant d’actions au contact, le principe d’égalité d’action et de réaction doit être étendu à ces forces s’exerçant à distance ; mais il est clair que cette conception a besoin d’une confirmation expérimentale, et qu’en thèse générale, le principe d’égalité ne doit plus être considéré que comme empirique.

Cependant Newton, quoiqu’il ait poursuivi aussi à cet égard des recherches expérimentales, a essayé de donner une démonstration a priori, qui mérite d’être rappelée. Soit deux corps A et B, exerçant l’un sur l’autre des actions à distance ; qu’on imagine que ces deux corps soient séparés par un obstacle C avec lequel chacun d’eux soit au contact, et qui, pour fixer les idées, soit absolument rigide ; A et B exerceront chacun sur C une action égale à l’attraction que lui-même subit ; mais d’après le principe de l’inertie, l’ensemble des trois corps A, B, C, ne peut être conçu qu’en repos ou en mouvement de translation uniforme dans l’espace ; et il est aisé de reconnaître qu’il ne peut en être ainsi que si les actions de A sur B et de B sur A, sont égales et opposées.

Il est clair que Newton dans cette démonstration donne au principe de l’inertie de la matière une extension qui dépasse les condi-