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d’aucune détermination expérimentale, n’ont pas à être considérés.

La cinématique nous apprend que, pour l’expérience, tout mouvement doit être considéré comme relatif ; pour passer au point de vue réel, il est nécessaire de choisir un système d’axes auquel on rapporte les mouvements observés, et que l’on considère comme fixe. Cinématiquement parlant, le choix de ce système est absolument arbitraire ; les anciens regardaient la terre comme fixe, lui rapportaient donc les mouvements de l’univers. C’est que cette hypothèse leur semblait la plus naturelle et la plus simple ; si nous l’avons rejetée, c’est que, contrairement à leur opinion, nous sommes arrivés autrement à une explication plus commode, grâce précisément au principe d’égalité d’action et de réaction ; mais dans notre thèse, pas plus que dans la leur, il n’y a aucune condition a priori de l’expérience.

L’hypothèse du déplacement de l’univers dans l’espace absolu a d’ailleurs été soutenue, comme on le sait, dans l’antiquité par l’école d’Épicure ; si l’insuffisance scientifique de cette école ne lui pas permis de présenter cette hypothèse sous une formule satisfaisante, une discussion approfondie montrerait qu’il n’y a cependant là aucune absurdité, mais seulement une complication hors de propos.

Est-il absurde a priori que dans un système réel considéré comme ne subissant aucune action extérieure et rapporté à des axes fixes, faisant partie de ce système (par exemple le système solaire, abstraction faite de son mouvement relatif aux étoiles), le centre de gravité se déplace par rapport à ces axes ? Évidemment non ; seulement l’expérience enseigne que la théorie des mouvements se fait de la façon la plus simple en supposant que ces axes passent par le centre de gravité, par conséquent qu’il est immobile. Voilà le fait, voilà le point de départ dont l’on s’élève, en agrandissant successivement les systèmes réels considérés (la terre, le soleil avec ses satellites, notre nébuleuse, etc.), pour arriver à la conception idéale de l’univers total dans l’espace absolu et pour conclure à l’immobilité dans t’espace absolu du centre de gravité de l’univers ; cette conception est aussi inévitable pour nous qu’elle nous est au fond inutile, et en tout cas, il est illégitime de la poser à priori et de renverser l’ordre de la déduction.