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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 19.djvu/586

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l’imputabilité et, par suite, la moralité. L’imputabilité exige un sujet actif et simple ; on doit pouvoir lui rapporter l’action comme à sa cause ; il faut qu’elle soit sienne, et non déterminée nécessairement par une cause interne ou externe. C’est la doctrine courante et superficielle de la liberté, qu’il me paraît inutile de réfuter après tant d’autres.

L’analyse de l’idée de sanction a conduit le déterministe M. Guyau à la nier sous toutes ses formes. L’auteur discute ses négations. Les lois de la nature peuvent être vérifiées, mais non violées : la prudence, la connaissance de l’hygiène, le raffinement dans l’art de jouir préservent l’intempérant des conséquences funestes de son vice. Celles-ci atteignent de préférence l’innocent, les descendants. La loi naturelle est fatale. Il n’y a donc pas lieu de parler de sanction naturelle. M. Masci répond faiblement à cette argumentation. La critique vise là, dit-il, non pas une théorie scientifique, mais une croyance populaire, qui attribue la moralité à la nature. L’auteur sera-t-il plus heureux à réfuter les critiques soulevées contre la sanction sociale ? Elle a, selon M. Guyau, plusieurs causes : l’utilité, le dégoûţ de voir le progrès empêché par le mal, l’intérêt esthétique qui voit dans le délit une difformité, la sympathie, instinct tout égotiste qui porte à rendre le bien et le mal en retour du bien ou du mal. Telle est l’origine de la récompense et de la peine. Celle-ci a pour motif et pour fin la défense. Elle se proportionne de plus en plus à l’action, qu’elle a pour objet de prévenir. La justice s’adoucit à mesure qu’elle devient sociale, d’individuelle qu’elle était à l’origine. Cet adoucissement du sentiment primitif se traduit dans les lois, et l’idéal de la pénalité en vient à s’exprimer par la formule : maximum de défense sociale avec minimum de souffrance individuelle. C’est donc la défense, et non la responsabilité, qui justifie la sanction sociale. M. Masci voudrait une plus grande par faite à l’intérêt individuel. Si cet intérêt est pris pour second coefficient de la peine, il doit alors dériver de celle-ci quelque utilité pour le coupable ; elle doit l’exciter à s’amender. Mais comment serait-elle moralisatrice, si l’individu qui la subit n’en reconnaît pas la justice et la légitimité, si la loi est l’expression de l’utilité, non d’une autorité rationnelle qui commande le respect ? S’il ne subit pas sa peine en tant que responsable et libre, il n’y verra pas un acte de justice, mais un acte d’hostilité, de vengeance sociale.

Nous touchons, du reste, ici, à la critique de la sanction interne. C’est dans son interprétation que la théorie de M. Guyau pèche le plus, du moins aux yeux de l’auteur. Cette sanction se réduit à un phénomène d’excitation ou de dépression de l’activité émotionnelle, sans caractère moral. M. Guyau admet bien, en outre, le plaisir ou la douleur aristocratiques de l’idéal atteint ou non réalisé. M. Masci ne comprend toujours rien à une sanction qui ne dérive pas du rapport de l’action à la loi, mais de son rapport à une tendance sensible, plus ou moins perfectionnée et affinée. Quand on fait tant que de reconnaître le sentiment moral dans sa plus haute manifestation, pourquoi ne pas