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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 19.djvu/95

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ANALYSES.schaeffle. Le corps social.

protecteurs. Tel est le rôle des vêtements pour l’individu, des remparts pour les villes, de la police pour l’État,

3° En troisième lieu il y a des tissus chargés d’alimenter tous les éléments anatomiques du corps social. Ils font l’office des vaisseaux capillaires.

4° D’autres ont pour fonction de mettre chaque organe en état d’agir au dehors. Ils correspondent à notre système musculaire. (L’armée, la flotte, etc.)

5° Enfin il y a un véritable tissu nerveux avec ses deux éléments essentiels les fibres et les corpuscules ganglionnaires. Ces derniers sont constitués par les systèmes nerveux des différents individus, qui tantôt agissent isolément, tantôt s’unissent et se groupent pour former des ganglions plus volumineux et plus puissants. Quant aux fibres, elles sont remplacées par les voies de communication et de transport ; mais celles-ci transmettent, au lieu de mouvements nerveux, des symboles qui servent de véhicules aux idées. La variété de ces signes symboliques est infinie ; on peut pourtant les répartir en deux classes. Les uns expriment la pensée par certains mouvements du corps, les autres la représentent au moyen de choses extérieures. On a un exemple des premiers dans le langage, le chant et le geste ; des seconds dans l’écriture, le dessin, les monuments.

Grâce à cette organisation, les idées peuvent être échangées entre les individus et les groupes. C’est ainsi que se forme la vie psychologique de la société. Mais celle-ci mérite d’être étudiée à part. À l’histologie succède une psychologie.

IV. Il existe une conscience sociale dont les consciences particulières ne sont, en partie du moins, qu’une émanation. Combien y a-t-il d’idées ou de sentiments que nous tenions de nous-mêmes ? Bien peu. Chacun de nous parle une langue dont il n’est pas l’auteur : nous la trouvons toute faite. Sans doute le langage n’est qu’un vêtement pour la pensée. Ce n’est pourtant pas un vêtement banal, capable de dessiner toutes les formes et que tout le monde puisse mettre indistinctement. Il ne peut s’adapter qu’à de certains esprits. Tout langage articulé suppose et figure une certaine articulation de la pensée. Par cela seul qu’un peuple parle à sa manière, il pense à sa manière ; nous recevons et apprenons l’une et l’autre à la fois. De même d’où nous viennent et les règles du raisonnement et les méthodes de la logique appliquée ? Nous avons emprunté toutes ces richesses au capital commun. Enfin, est-ce que nos résolutions, les jugements que nous portons sur les hommes et sur les choses ne sont pas déterminés sans cesse par les mœurs et les goûts publics ? Voilà comment il se fait que chaque peuple a une physionomie propre, un tempérament et un caractère. Voilà comment il se fait qu’à certains moments il se répand dans la société une sorte d’épidémie morale qui, en un instant, fausse et pervertit toutes les volontés. Tous ces phénomènes seraient inexplicables si les consciences particulières étaient autant de monades indépendantes.