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LECHALAS. — comparaisons entre la peinture et la musique

du son répondrait à la couleur de la lumière, tandis que, en réalité, c’est la hauteur du son qui dépend du nombre des vibrations de l’air, comme la couleur dépend du nombre des vibrations de l’éther. Il est vrai que, plus loin, M. Véron compare la couleur à un autre élément de la musique, mais cet élément n’est pas encore la hauteur du son. « On a souvent, dit-il, comparé au dessin, la mélodie qui dispose les sons, et à la couleur l’harmonie qui les combine. Il y a là, en effet, une analogie frappante (p. 388) ». Nous retrouvons exactement les mêmes rapprochements dans l’ouvrage de M. Gauckler sur le Beau et son histoire : « Ce qui nous frappe d’abord dans le son, c’est le timbre, ce que les Allemands ont appelé sa couleur. L’harmonie enveloppe la mélodie du charme magique de la vie, comme la couleur prête au dessin l’animation et les apparences de la réalité » (p. 160 et 176).

Dans la contradiction que nous avons signalée, M. Véron est d’ailleurs en excellente compagnie, car M. Taine, bien que très sobre de comparaisons entre les sons et les couleurs, y est également tombé. Il commence, il est vrai, par poser la correspondance de la hauteur du son et de la couleur de la lumière : « Les sons ont leurs dissonances et leurs consonances, dit-il ; ils s’appellent ou s’excluent ; l’orangé, le violet, le rouge, le vert, et tous les autres, simples ou mélangés, forment ainsi, par leur proximité, comme les notes musicales par leur succession, une harmonie pleine et forte, ou âpre et rude, ou douce et molle[1] ». Mais, ce principe posé, M. Taine le développe, soi-disant, par des exemples, et le lecteur surpris s’aperçoit qu’il rapproche des diverses notes de la gamme, non les différentes couleurs, mais les nuances variées d’une même couleur[2].

Les citations qui précèdent n’ont point évidemment pour but de nous donner la triste satisfaction de mettre des hommes éminents en contradiction avec eux-mêmes, mais bien de rendre plus saisissante la discordance qui paraît exister entre les affinités esthétiques

  1. Philosophie de l’Art, tome II, p. 391.
  2. M. Rosenstiehl, dans sa très intéressante étude sur les Premiers éléments de la science de la couleur, a remarqué justement que l’usage a attribué deux significations différentes au mot ton en peinture et en musique, ce mot ayant rapport à l’intensité lumineuse et à la hauteur des sons. Il ne se demande pas si cette divergence au point de vue objectif ne repose pas sur une affinité esthétique, et il déclare que, s’il n’y a pas lieu de proposer une réforme du langage, c’est parce qu’il y a si peu d’analogie entre l’œil et l’oreille qu’il est inutile de la rechercher dans l’expression (page 3). Si, comme nous le croyons, il existe des affinités réelles entre les deux ordres de sensations, il importe, au point de vue de la pureté du langage, de les bien reconnaître, car le développement indépendant des deux vocabulaires comprenant des expressions communes courrait grand risque d’aboutir à de véritables monstruosités esthétiques.