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LECHALAS. — comparaisons entre la peinture et la musique

lumière équivalant à une lumière simple : celle-ci se trouve comme diluée dans de la lumière incolore. On voit donc que, au point de vue objectif, les effets d’harmonie et de timbre correspondent aux effets produits par l’introduction de la lumière blanche.

Avant d’entrer dans la discussion personnelle des affinités esthétiques que l’on doit mettre en regard des correspondances précédentes, nous devons signaler que le tableau de ces affinités a été systématiquement dressé par celui qu’on a si justement appelé un poète philosophe, M. Sully Prudhomme. Ce tableau, qui se trouve dans le huitième chapitre de son admirable ouvrage sur l’Expression dans les Beaux-Arts, présente d’autant plus d’intérêt que l’auteur a écarté toute considération objective et s’est exclusivement attaché à l’observation psychologique. Nous ne sommes pas d’accord avec lui sur tous les points, mais il nous paraît avoir serré la vérité d’assez près pour être un guide précieux. En outre, nous devons avouer que c’est l’œuvre de M. Sully Prudhomme qui nous a forcé à réfléchir assez sur ce sujet pour nous débarrasser de nos préjugés, lesquels nous empêchaient d’admettre a priori aucune affinité esthétique qui ne reposât sur une correspondance objective. Lorsque nous rencontrerons une divergence entre les deux séries de phénomènes physiques et psychologiques, nous devrons en demander l’explication à la physiologie, puisque notre corps sert d’intermédiaire entre ces deux ordres de phénomènes.

Sans nous attacher d’ailleurs à suivre le même ordre de discussion que M. Sully Prudhomme, nous prendrons pour point de départ les trois faits constitutifs de la peinture, le dessin, la couleur et la valeur.

I. Dessin. — Nous avons déjà remarqué que la peinture coordonne les vibrations lumineuses dans l’espace, tandis que la musique coordonne les vibrations sonores dans le temps. Il convient de reconnaître tout d’abord les causes d’une différence aussi fondamentale. Sans entrer dans une discussion métaphysique sur l’idée d’espace, on peut dire que les psychologues allemands contemporains ont établi d’une façon indubitable que, pour qu’un sens puisse évoquer cette idée d’une manière précise et directe, et non par association avec un autre sens externe, deux conditions sont nécessaires. Il faut : 1o que chaque point de l’étendue à percevoir modifie un point déterminé de l’organe sensoriel, et que le sujet percevant puisse distinguer, grâce à un signe local quelconque, la modification de ce point de celle de tout autre point ; 2o que des mouvements, connus du sujet grâce au sens musculaire, mettent successivement en rela-