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LECHALAS. — comparaisons entre la peinture et la musique

musique exécuté sur divers instruments d’un tableau exécuté en fresque, ou peint à la cire ou à l’huile. Dans ce nouvel ordre de comparaisons, la couleur ne répond plus au timbre, mais bien à la hauteur du son.

Et qu’on ne croie pas que les artistes soient contraires à un tel rapprochement, car Eugène Fromentin lui-même, ce maître achevé de la littérature d’art, a dit : « La palette de Rubens y retentit déjà dans les quelques notes dominantes, le rouge, le jaune, le noir et le gris[1] ». Il est vrai qu’on pourrait nous opposer cet autre passage : « Du noir, du gris, du blanc : rien de plus, rien de moins, et la tonalité est sans pareille[2]. » Nous acceptons les deux citations, et nous concluons simplement que, jusqu’ici, rien ne nous force à rapprocher la couleur du timbre plutôt que de la hauteur du son. Une étude plus approfondie s’impose donc à nous. Porté naturellement par le sujet de nos études à attribuer une grande importance aux éléments objectifs des choses, nous avons longtemps regardé le rapprochement du timbre et de la couleur comme une grossière erreur ; l’opinion de M. Sully Prudhomme nous a montré la nécessité d’un sérieux examen, et un tableau de M. Paul Baudry nous a converti à l’opinion généralement reçue. Le sujet des noces de Psyché et de l’Amour nous met en présence d’un sentiment essentiellement simple et harmonieux : l’amour s’y manifeste sans aucun mélange d’autre sentiment, et l’amour, en lui-même, est une passion qui harmonise tout l’être humain. Comment notre grand peintre contemporain a-t-il exprimé ce caractère de son sujet ? Non seulement ii a évité les tons sombres ou trop éclatants, éléments qui répondent à l’intensité des sons, mais encore il a proscrit les colorations saturées, ne mêlant que peu de couleur à son blanc et à ses gris, et, pour mieux accentuer cette atténuation de la couleur, il a fait disparaître complètement celle-ci dans les draperies dont il a enveloppé Psyché. Or, si nous nous demandons comment un musicien eût traité un tel sujet, nous ne pouvons douter qu’il eût eu recours à des instruments tels que la flûte et peut-être la harpe. Or la flûte émet des sons à peu près

  1. Les Maîtres d’autrefois, édition in-8o, p. 42.
  2. Idem, p. 374. Il nous serait aisé d’invoquer de nombreux textes allemands à l’appui de la comparaison entre la couleur et la hauteur du son. Hanslick lui-même, après avoir déclaré que de chaque couleur rayonne un caractère qui lui est spécial, rappelle que nous associons communément l’idée d’espérance à la couleur verte, celle de foi à la couleur bleue et que Rosenkranz voit dans la nuance rousse la dignité tempérée par la grâce et dans le violet la bonhomie bourgeoise ; puis il rapporte que, d’après la Symbolique des tonalités de Schubart, le ton de la bémol représente une disposition romanesque, celui de si mineur quelque chose d’hostile à l’homme et celui de sol majeur la gaieté (Du Beau dans la Musique, pp. 28 et 29).