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ÉVOLUTION ET LIBERTÉ


S’il fallait choisir entre l’évolutionisme et la liberté morale, mon hésitation ne serait pas longue. Quel est le degré comparatif de confiance que nous devons attacher à une hypothèse de physique et à un postulat de la loi morale, en supposant le postulat légitime et l’hypothèse aussi vraisemblable qu’il est possible en l’absence d’une vérification proprement dite ? Cette question de logique est une question de morale ; elle se réduit au fond à savoir si la loi morale existe ou n’existe pas. Mais l’opposition des deux termes est-elle avérée ? la liberté morale est-elle réellement incompatible avec la doctrine de l’évolution ? Je n’en crois rien. Suivant mon sentiment, l’évolution est bien plutôt la théorie du monde qui permet le mieux de comprendre la liberté morale. Sans doute, si l’on identifie la doctrine de l’évolution avec un système métaphysique suivant lequel tout se ramène dans l’univers à des mouvements de la matière tels qu’ils résultent des lois de la mécanique, évidemment un tel système exclut la liberté de l’homme, et la conscience illusoire de cette liberté que nous croyons posséder n’est probablement pas le phénomène dont il aura le plus de mal à fournir une explication plausible. Cet évolutionisme universel est une conception purement a priori. Il se recommande aux savants par sa prétention d’employer exclusivement leur méthode, mais il abuse de cette méthode et la fausse, en l’appliquant à des questions manifestement hors de ses prises. La base empirique de ce système n’est ni plus large ni plus solide, malgré le chiffre énorme des détails, insignifiants pour la plupart, dont un charlatanisme habile et lourd met sa gloire à l’envelopper, que la base empirique de tel ou tel autre, du théisme, par exemple, du dualisme ou de l’inconscient. Les auteurs de dogmes usent tous du même procédé : choisir dans les faits connus d’eux ceux qui se prêtent au genre d’explication adopté, passer sous silence, autant qu’il est décemment possible, les points rebelles à la théorie, et composer un tout pour l’imagination avec les faits exposés. Notre