Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 20.djvu/208

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
204
revue philosophique

ment ces données les unes des autres et de consacrer à chacune d’elles un chapitre distinct.

La vitesse et la masse : la quantité de mouvement ; la force vive ; la force vive dans ses rapports avec le travail ; la force vive et l’énergie de position ; la loi de la conservation de l’énergie ; des transformations de l’énergie ; la force vive et la chaleur ; la dégradation de l’énergie ; les sources de l’énergie ; à chacun de ces sujets est consacré un chapitre, et cela suffit à montrer que, sous un mince volume, M. Jouffret non seulement analyse les données de la mécanique mais encore expose en raccourci tout un système de philosophie de la nature.

L’auteur débute par définir la vitesse et la masse. La vitesse c’est ce que chacun sait : la masse d’un corps « résulte du nombre d’atomes que ce corps renferme ». À ce propos, M. Jouffret fait remarquer avec raison que, si l’on creuse la notion d’atome, on ne tarde pas à se représenter ses dimensions comme nulles. « L’idée de l’atome inétendu à laquelle on s’est habitué peu à peu, a fini par s’imposer à la plupart des savants et des philosophes comme devant être l’expression de la réalité » (p. 6). Nous sommes sur ce point d’accord avec M. Jouffret : la notion d’atome se présente sous trois aspects, physique, mathématique, métaphysique. L’atome physique ou chimique ne peut se concevoir en dehors de toute étendue. L’atome mathématique au contraire se confond, à peu de chose près, avec l’atome métaphysique, ou la monade. Les attributs psychologiques dont est revêtue la monade Leïbnizienne font toute la différence ; le mathématicien les néglige plus encore qu’il ne les conteste. Dans ses migrations incessantes l’atome est indestructible, Toujours il reste le même. « C’est ce qui constitue la grande loi de la conservation de ia matière à laquelle on s’est élevé peu à peu par l’observation. » L’indestructibilité de la matière est à coup sûr une induction de l’expérience.

La raison n’y contredit pas, mais c’est tout. — Mais le principe de raison suffisante ? — Ce principe ne rend pas tout ce qu’on lui prête. S’appuyer sur cette loi de l’entendement pour en conclure que rien ni ne se crée, ni ne se perd, c’est abuser. Si la quantité d’être du monde venait à s’accroître, l’accroissement survenu n’aurait-il pas sa raison suffisante ? Pour ne la pas connaître, on n’en serait pas moins réduit à l’affirmer. L’élasticité de ce fameux principe pourrait-elle d’ailleurs être mise en doute, si l’on songe qu’il est une arme également précieuse et pour les déterministes et pour les partisans de la liberté ?

Toutefois, si M. Jouffret fait intervenir l’expérience et lui assigne, comme à leur origine, un certain nombre de vérités générales, il s’en faut, et de beaucoup, qu’il méconnaisse le pouvoir créateur de l’esprit. Pour rester étranger à la querelle des empiristes et des nativistes, il sait, et en des termes qui ne laissent aucune prise à l’équivoque, reconnaître la part de l’esprit dans l’élaboration des idées fondamentales de la science. « L’impossibilité de concevoir l’absolu « s’applique au temps lui-même que nous ne connaissons pas et qui ne figure dans nos formules que par sa valeur relative, mesurée au moyen d’un certain mouvement pris pour type