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DUNAN. — les théories métaphysiques

beaucoup trop porté à oublier en général, et ce que du reste paraissent bien reconnaître M. Janet et M. Spencer dans les arguments que nous avons rapportés plus haut ; puisque, suivant les deux savants auteurs, une analogie irrésistible nous oblige à attribuer aux choses extérieures précisément ce qui se passe en nous, c’est-à-dire la résistance ; et comme cette résistance est sentie, comme nous n’avons même aucune idée d’une résistance qui ne le serait pas, c’est une résistance sentie qui doit être l’attribut essentiel des corps en dehors de nous.

Ceci posé, quelle idée allons-nous pouvoir nous faire de la nature des substances ou choses en soi qui constituent les corps ? D’abord il nous faut écarter sans examen l’hypothèse de Boscovich reprise par quelques modernes, composant les corps de points matériels inétendus qui seraient des centres d’attraction et de répulsion, mais qui seraient dépourvus de sensibilité. À plus forte raison encore faut-il écarter, et la conception cartésienne d’une matière étendue sans solution de continuité, et l’atomisme de Démocrite et d’Épicure, qui sont des théories métaphysiquement ruinées depuis longtemps, et qui d’ailleurs, comme la théorie précédente, excluent des choses en soi toute sensibilité. Nous ne voyons plus dès lors qu’un port de refuge ouvert au réalisme ; c’est la conception pseudo-leibnizienne de monades agglomérées qui ne seraient en quelque sorte que des esprits éteints, qui toutefois agiraient sur nous, et qui, par leur agglomération même constitueraient les corps. Nous avons montré déjà que cette conception n’est pas de Leibniz, comme on le prétend, et nous avons indiqué en même temps quelques-unes des objections qu’on y peut faire. Considérons-la maintenant en elle-même. Elle nous paraît définitivement inacceptable pour trois raisons principales :

1o Dans ces principes dynamiques, disons, si l’on veut, dans ces monades, il y aurait des sensations, et ces sensations se produiraient sans organes. Sans doute on ne manquera pas de répondre qu’il y a dans les corps organisés, et probablement aussi dans tous les corps, une monade centrale qui est comme l’expression de toutes les autres à la fois, et à laquelle toutes les autres, précisément par leur agglomération, constituent un organisme qui lui rend la sensation possible. Mais ces autres monades sont sensibles aussi : où est l’agglomération de monades subordonnées qui leur constitue un organisme ? Dira-t-on que l’organisme de chacune de ces monades c’est l’agglomération de toutes les autres ? Quelle logomachie que tout cela ! Et quelle simplicité au contraire, dans cette question des rapports de l’âme et du corps, si l’on admet, comme c’est la vraie pensée de