Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 20.djvu/240

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
236
revue philosophique

MM. Renouvier et Liard, sans parler de plusieurs autres philosophes, ont mis la même vérité en complète évidence. Aussi ne reprendrons-nous pas une démonstration qui a été si souvent et si bien faite[1] ; mais nous y ajouterons une considération qui n’a point été présentée encore, que nous sachions.

Envisageons pour un instant la notion de phénomène telle que la conçoivent ceux des philosophes réalistes qui font de la résistance une propriété absolue des corps. C’est à tort évidemment que la plupart de ces philosophes font de la cause d’un phénomène un antécédent chronologique de ce phénomène ; c’en est au contraire un concomitant, de sorte que la cause et l’effet ne peuvent être donnés que simultanément, et doivent disparaître de même. Une perturbation organique cause de la fièvre : c’est-à-dire que cette perturbation une fois donnée, la fièvre est donnée par cela même, et que, si la fièvre se retire, c’est que la perturbation a cessé ou s’est atténuée. Sans doute il est des effets qui semblent survivre à leur cause : le mouvement d’un boulet de canon se prolonge après l’inflammation de la poudre. Mais c’est que cette inflammation de la poudre est seulement la cause éloignée, et non plus la cause prochaine et vraiment efficiente du mouvement du projectile à un moment donné de sa course. Ainsi on peut poser comme un principe évident a priori que la cause et l’effet doivent toujours être rigoureusement simultanés, puisque, dans le cas contraire, la cause se survivrait en quelque sorte à elle-même, et pourrait encore agir, après qu’elle aurait cessé d’exister. Mais alors la distribution des phénomènes dans le temps ne se comprend plus. Le phénomène A est cause du phénomène B, qui lui-même est cause du phénomène C,

  1. Il faut pourtant citer le passage suivant qui nous paraît résumer très heureusement les objections les plus graves que l’on peut élever contre la théorie de la causalité transitive et de la communication des mouvements : « Le cas le plus simple de cette communication est le fait du choc. Deux corps se rencontrent, l’un en mouvement, l’autre immobile : après le choc, le mouvement de l’un est anéanti ou ralenti, et un mouvement est imprimé au second. Le premier corps est donc cause du mouvement du second, et le second cause du repos ou du ralentissement du premier. Comment comprendre cette causalité réciproque, si la cause objective est une puissance créatrice ? Comment comprendre qu’elle passe du premier corps dans le second, ou qu’elle cesse d’agir dans l’un pour se manifester dans l’autre ? Comment, si chaque cause est une source originale de mouvement, le mouvement du premier corps est-il arrêté ou diminué ? Comment, avant le choc, le second corps demeurait-il en repos ? Pour répondre à ces questions, il faudrait imaginer une loi aux manifestations des causes ; mais cette loi serait la causalité véritable, c’est-à-dire l’origine de l’ordre constant de l’univers ; et, si on lui attribuait le même pouvoir créateur qu’on place gratuitement au sein des causes substantielles les mêmes questions se présenteraient encore, et ainsi de suite à l’infini, » (Liard. La Science positive et la Métaphysique, p. 271 et 272, 1re édition.)