Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 20.djvu/255

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
251
DUNAN. — les théories métaphysiques

inconnaissable ; et par là il ramena la métaphysique à ses traditions séculaires que Descartes avait méconnues.

Comme Spinoza, mais sous une inspiration meilleure, Leibniz revint définitivement au monisme ; mais le monisme prit avec lui une forme toute nouvelle que l’antiquité n’avait pas connue. Dans la pensée de Platon, comme dans celle de Plotin, le monde n’était qu’une réfraction et une dispersion indéfiniment répétées du principe universel. L’être, de plus en plus amorti, à mesure qu’il s’éloignait davantage de son centre, était pourtant un en nature, et un aussi en nombre ; l’univers n’était en quelque sorte qu’un prolongement de Dieu. Chez Aristote, l’être était encore un en essence, quoiqu’il fût devenu deux en nombre ; mais le monisme péripatéticien est au fond de même genre que le monisme platonicien ; les corps et les esprits, dont l’ensemble constitue l’univers, y sont encore considérés comme des degrés différents de l’être unique et universel ; c’est-à-dire que ce monisme est un monisme réaliste. Leibniz, rompant sur ce point avec le passé, donne au monisme un tout autre caractère. D’abord il détermine avec une précision merveilleuse la véritable nature de l’Être, que Platon et Plotin, en la désignant par les mots de Bien et d’Un, avaient laissée dans un certain vague. D’accord avec Aristote, il donne à l’Être son vrai nom, l’Esprit ; mais, contrairement à Aristote, il admet une pluralité d’esprits, ou, comme il dit, de monades, homogènes les unes aux autres, et ne différant entre elles que par le degré. Quant aux corps et aux choses de l’ordre sensible, ce ne sont plus pour lui que des représentations des divers esprits, de simples apparences sous lesquelles chacun d’eux perçoit en quelque manière ce qui se passe dans tous les autres : nos pérceptions n’ont de valeur que celle de « rêves bien liés ». Avec Leibniz le monisme est devenu idéaliste : Berkeley lui-même n’est pas allé plus loin.

Dans la philosophie de Kant, le monisme est certainement moins accusé que chez Berkeley et chez Leibniz. La faute en est d’abord un peu aux noumènes. On ne voit pas bien pourquoi ces noumènes qu’on appelle des esprits, et qui sont représentés à eux-mêmes sous la forme du moi, et ces autres noumènes qui sont représentés aux premiers sous la forme du non-moi, seraient identiques entre eux en nature et et en essence. On dit quelquefois que, dans la philosophie de Kant, le noumène est une superfétation qu’il faut écarter absolument, si l’on veut bien comprendre et bien juger cette philosophie. Cette matière de voir n’est peut-être pas d’une parfaite justesse : le noumène semble au contraire bien nécessaire à Kant pour constituer sa morale. C’est, à vrai dire, un grand défaut de cette philosophie de ne pas pouvoir supporter le noumène, et de ne pas savoir s’en passer. Du reste, le