Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 20.djvu/258

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
254
revue philosophique

mènes qu’elles régissent existent. — L’homme agit dans le milieu social et il crée les mœurs ; il réfléchit sur les phénomènes sociaux créés par lui et il rédige les lois. Par conséquent, l’origine des idées morales est par delà les lois écrites, dans les « lois non écrites », dans les coutumes et les usages des peuples primitifs. — Les études des cinquante dernières années sur les commencements des sociétés humaines, permettent de porter plus en arrière qu’on ne l’avait fait jusqu’ici, les recherches sur l’origine des idées morales, et de serrer de plus près ce problème qui a tant préoccupé la pensée philosophique.

M. Regnaud écrivait dans l’article précité que son étude sur l’Évolution de l’idée de briller, pour être complète, exigerait l’analyse des vocabulaires raisonnés du monde entier. Si chaque peuple, si chaque race humaine avait un mode spécial de développement, il faudrait, en effet, connaître les développements particuliers de tous les peuples, avant d’arriver à une idée générale de l’évolution des phénomènes humains. Mais tel n’est pas le cas. Toutes les sociétés humaines passent plus ou moins rapidement par les mêmes phases de développement. C’est ainsi que Marx a pu dire : « le pays le plus développé industriellement, montre à ceux qui le suivent sur l’échelle industrielle l’image de leur propre avenir »[1]. — Déjà Vico avait conçu « une histoire idéale…, que répéteraient dans le temps les histoires de toutes les nations, de quelque état de sauvagerie, de barbarie…, que partent les hommes pour se domestiquer (ad addimesticarsi) »[2]. Aussi le profond penseur napolitain affirmait qu’il « devait nécessairement exister dans la nature des choses humaines une langue mentale commune à toutes les nations, laquelle langue désigne uniformément la substance des choses qui sont les causes agissantes de la vie sociale, et se plie à autant de formes différentes que les choses peuvent revêtir d’aspects divers. Nous en avons la preuve dans ce fait que les proverbes, ces maximes de la sagesse vulgaire, sont de la même substance chez toutes les nations antiques et modernes, bien qu’ils soient exprimés dans les formes les plus différentes »[3].

L’existence d’un « plan unique d’organisation » — c’était l’expression de G. Saint-Hilaire — est aujourd’hui un fait acquis pour nombre d’esprits théoriques ; mais ce plan d’organisation, cette histoire idéale,

  1. Karl Marx, Le Capital. Préface.
  2. Giambatista Vico, La Scienza Nuova. De’Principi, Liv. II, Cor. v, Milano, 1837.
  3. Vico, loc. cit. Degli elementi, XXII.